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Les journées formation Action Praticiens Hopital (APH) du 12 au 14 juin 2017

Les clés de l’exercice des PH à l’hôpital public sont l’autonomie et l’indépendance professionnelle, face aux pressions politiques, sociétales, économiques, institutionnelles, qu’ils subissent. Il s’agissait lors de ces journées, d’examiner comment il est possible d’exercer son métier et sous quel statut.
 

Autonomie médicale : pourquoi et comment la défendre ? 

(D’après les propos de Frédéric Pierru)
 
La définition précise de l’autonomie professionnelle et le degré effectif d’autonomie des médecins demeurent encore l’objet de débats intenses. Ce sont les professions « hyperpuissantes » qui défendent toujours l’autonomie professionnelle, alors que celle‐ci est de plus en plus attaquée. Il est donc nécessaire de décortiquer les enjeux sous‐jacents, afin de ne pas défendre cette autonomie de manière corporatiste. Le contenu du travail n’est pas suffisamment pris en compte, alors que c’est de là qu’il conviendrait de repartir. L’autonomie professionnelle est nécessaire à la qualité des soins, mais il s’agit de trouver le bon chemin de crête. 
 
De la célébration à la contestation de la forme professionnelle 
 
Historiquement les professions médicales se sont définies autour de 3 axes : 
- le monopole d’une activité (marché de travail fermé), 
- l’autonomie (relation entre dimension clinique et socio-économique)
- l’autorégulation. 
 
Cela a permis l’émergence de valeurs telles que l’altruisme, le dévouement et l’excellence morale. Toutefois, des biais ont émergé tels que variations de pratiques, apparition d’intérêts économiques, conflits de chapelles, faiblesse de l’auto‐régulation. De ce fait, les attaques sous l’angle du corporatisme ne se sont pas faites attendre...
 
Ainsi, depuis la célébration de la forme professionnelle, l’évolution s’est faite vers sa contestation, et la critique politique et gestionnaire de ses privilèges. Des discours de déprofessionalisation apparaissent. 
 
Les professions, et donc l’autonomie professionnelle, associent 3 dimensions : 
  • socio‐économique : liberté du mode d’exercice et de la spécialité, contrôle de la rémunération et du revenu, contrôle de la nature et du volume des activités, et contrôle du cadre d’exercice (libéral, contractuel, salariat…). 
  • clinique (contrôle de son travail) : liberté d’accepter ou non des patients, autonomie sur les décisions diagnostiques et thérapeutiques, contrôle sur les autres soignants. 
  • d’autonomie individuelle et d’autonomie collective : l’autonomie que perdent certains professionnels, d’autres peuvent la gagner, laissant intacte l’autonomie de la profession. Il en va ainsi des mouvements de « collectivisation » des décisions médicales (RCP en cancéro) ou de la montée en puissance des élites scientifiques via les agences, peuplées de médecins qui établissent les règles pour les autres médecins, donc l’autonomisation d’une élite scientifique. 
 
Apparaît également une élite gestionnaire via les pôles, établissant une interface avec les autres médecins, qui filtre et retraduit pour les autres médecins les injonctions extérieures. Mais ces « élites  » médicales restent au sein de standards définis par la profession, il s’agit donc de transferts d’autonomie au sein de la profession. 
 
 
La prophétie ancienne de déprofessionnalisation et de prolétarisation de la médecine se voit mise en musique progressivement, du fait de la croissance des coûts et de la montée en puissance du pouvoir des payeurs, de la rationalisation et de l’industrialisation des soins par les gestionnaires. Comment ? Par l’intégration des médecins à de grandes organisations bureaucratiques, via la technicisation et à la spécialisation qui fragmentent et affaiblissent le corps professionnel. 
 
La pléthore médicale, l’émancipation des patients et la perte de confiance du public conduisent à la banalisation de la médecine qui est devenue un bien de consommation.
 
Les professionnels du soin vulnérables face à la logique réformatrice
 
Sans « alliés » au sein du champ médical, la rationnalisation gestionnaire aurait du mal à se déployer à l’hôpital. Les réformateurs se jouent des divisions internes au monde médical qui s’approfondissent avec la croissance démographique de la profession, la diversification du recrutement social et « genré », l’hétérogénéité grandissante des modes d’exercice, des statuts et des revenus, etc. 
 
En 2010, dans son enquête, Nicolas Belorgey l’a bien montré. Il distingue sociologiquement  2  types de rapports aux réformes: 
  • les established qui résistent aux réformes : forte ancienneté, reconnaissance au sein de l’équipe et par la hiérarchie, fort capital professionnel, engagements politiques syndicaux et/ou politiques, etc 
  • les outsiders qui y sont plus sensibles : trajectoires sociales plus heurtées (origine étrangère), moindre ancienneté dans le public, moindres capital et intégration professionnels, précarité… Autrement dit, le champ médical réfracte selon sa logique propre, sa hiérarchie et ses divisions internes, la rationalité gestionnaire.
 
Après ces explications sur la position de la hiérarchie sociale, on peut envisager une hypothèse complémentaire : les affinités électives entre certaines spécialités, et la logique industrielle‐manageriale.
 
La notion d’« affinités électives » permet de mettre en évidence que certaines pratiques ou spécialités médicales, très médicalisées, se trouvent « élues » par l’esprit gestionnaire, tandis que d’autres sont « déphasées » et « entravées » par les réformes. 
 
André Grimaldi en distinguant les 3 types de prise en charge (les maladies bénignes, celles nécessitant des soins techniques hautement spécialisés et les maladies chroniques) distingue ainsi 3 types de médecine qui ne sont pas valorisées de la même manière. 
 
La médecine, une profession à pratique prudentielle 
 
En reprenant ce concept de pratique prudentielle adaptée à la médecine, on distingue ainsi plusieurs types de spécialités de degrés inégaux. La pratique prudentielle est liée à la singularité des cas auxquels les médecins sont confrontés, ce qui renvoie à la singularité du matériau humain sur lequel le travail porte ; à la complexité des situations sur lesquelles les professionnels travaillent (dimensions cliniques, techniques, sociales, économiques, éthiques...) et les valeurs à hiérarchiser, à intégrer dans la décision. Singularité et complexité sont des sources d’incertitudes. Par conséquent, une part du travail professionnel (la plus autonome) ne consiste pas à appliquer mécaniquement un savoir scientifique : « face à des problèmes singuliers et complexes, les professionnels prennent des décisions qui comportent une part de délibération et même de pari : le travail professionnel est conjecturel, parce qu’il porte sur une réalité qui échappe inévitablement à toute maîtrise systématique. » (Champy, 2009:84-85). 
 
Le savoir professionnel est un mode de connaissance qui est en partie non scientifique, qui suppose la délibération et qui comporte une part de contingence, résistante aux formes de contrôle et de standardisation gestionnaires. 
 
Revaloriser le caractère prudentiel de la pratique médicale, c’est revaloriser son autonomie
 
C’est dire que « Le médecin est à la fois un scientifique, un artisan et un artiste ». Les conflits autour des réformes ne sont pas réductibles à un jeu de pouvoir à somme nulle entre médecins et gestionnaires. La quantification excessive de la pratique (abus des indicateurs), la normalisation excessive de la pratique (application mécanique des protocoles et des « recommandations de bonne pratique »), les impératifs de productivité comme entrave à la prudence (la réflexion et la délibération, donc le temps, sont indispensables), la fragmentation excessive des prises en charge médicales et l’affaiblissement de la collégialité et des modes de coordination informels des différents professionnels (collectif soignant), sont autant d’entraves à une pratique prudentielle, à l’autonomie de la profession médicale, et sont susceptibles de dégrader la qualité des soins. 
 
Il faut donc défendre la prudence plus que l’autonomie qui recouvre des termes trop confus et dévoyés, et pour la défendre il existe plusieurs répertoires : le répertoire professionnel classique, éthique, politique, et intellectuel. 
 

Le choix historique d’un statut spécifique plutôt que fonctionnaire

Richard Torrielli

1984 est une date charnière dans l’histoire du syndicalisme médical et dans la vie des médecins hospitaliers. Sous l’impulsion majeure des anesthésistes réanimateurs et de leur organisation syndicale, sort le 24 février le décret 84-131 portant statut des praticiens hospitaliers. Dans la foulée est créé le SNPHAR, héritier direct du syndicat, qui, sous différentes appellations successives, avait lutté pour son obtention...
 
  • Avant 1984... 
Jadis l’anesthésiste fut apatride, il squattait les lieux de soins, muni d’un permis-de-travail-statut provisoire. Son état d’être-humain-médecin comme les autres n’était pas connu-reconnu de tous. Collègues méprisants, public ignorant, administration négligente. Et pourtant les tâches ingrates auxquelles il se livrait s’avéraient non seulement nécessaires, mais souvent vitales.
Bien sûr, nous parlons d’un temps révolu que seuls les papi-boomers comme moi ont pu connaître.
Cet état de fait ne pouvait que susciter révolte et mobilisation. 
À l’origine, une organisation syndicale naît en 1970. Elle prendra, au fil des aléas législatifs, différentes appellations et aura pour objectif prioritaire, l’élaboration d’un statut hospitalier permanent pour l’ensemble des disciplines et des hôpitaux. Ce programme se développera et s’enrichira  en fonction de la réflexion collégiale, des circonstances, de l’évolution médicale et de l’organisation hospitalière. Mais il restera sous tendu par les objectifs fondamentaux de défense de la discipline et de son attractivité, de protection de la dignité des praticiens et de qualité des soins. 
En 1984, un statut commun à tous les PH, dote la spécialité de ses lettres de noblesse et établit à la fois l’égalité entre tous les médecins et toutes les spécialités, et l’identité de chacun.
 
  • Pouvait-on faire autrement ? 
Avait-on le choix entre statut et « fonction publique »? Le choix statutaire fut une nécessité structurelle ET conjoncturelle. Depuis des années, le Cadre Hospitalier Temporaire, réservé aux anesthésistes réanimateurs et aux hémobiologistes, était déjà un statut, mais provisoire, et qui était spécifique aux CHU. À côté d’eux, les « bi-appartenant », dépendant de la fonction publique hospitalière et recevant ainsi salaire au titre de l’enseignement supérieur, percevaient des « indemnités » pour leur activité clinique à l’hôpital. La seule organisation favorable à l’assimilation de tous les médecins des CHU à la position de bi-appartenant était le SNESUP (Syndicat national de l’enseignement supérieur), très marqué politiquement, et peu représenté dans le secteur santé. L’ensemble des bi-appartenant était opposé à cette solution.
Enfin, les médecins des hôpitaux dits « généraux », bénéficiaient déjà d’un statut spécifique qui, bien que très critiquable, pouvait servir de repère à la création d’un statut des « mono-appartenants ». La solution fut donc d’écrire un statut des mono-appartenants, applicable aux médecins, chirurgiens, biologistes et pharmaciens de TOUS les établissements hospitaliers, CHU et non CHU.
Dans le même temps les bi-appartenant devenaient les PUPH, et une certaine harmonisation régnait...
 
  • Après 1984, le combat continue...
Muni dès 1984 de ce passeport statutaire les anesthésistes réanimateurs ont pu marquer clairement les frontières de leur territoire traditionnel et partir à la conquête de nouveaux espaces. 
Procédant à la fois pied à pied pour la défense de ses mandants, et explorant toutes les directions offertes à l’action au sein des hôpitaux publics et de la santé en général, le SNPHAR est devenu une force de réflexion, de proposition et d’action incontournable. Son action fut parfois en phase et en accord avec celle d’autres organisations, parfois isolée au sein d’une intersyndicale qu’il devait quitter pour fonder AH. 
 
  • 1994 : sortie du décret « sécurité » qui oblige à des normes en consultations, équipements et salles de réveils en anesthésie réanimation. 
    Le repos de sécurité : concept inventé par le SNPHAR pour préserver la qualité des soins de l’incidence des fatigues de la garde.
    La fonction de garde, revendication historique des PH : négociations rudes et obstinées  sur plus de 20 ans et soutenues par des  mouvements de grève pour l’intégration de la garde et des déplacements en astreinte dans le temps de travail. 
  • 2000 : prime d’engagement de service public exclusif compensant le défaut d’activité privée hospitalière, prime et contrat pour postes difficiles à pourvoir, prime multi-établissements, revalorisation du 1er échelon niveau 4 et carrière linéaire sur 24 ans en 13 échelons sans quotas.
  • 2001 : la loi sur les 35 heures hebdomadaires appliquée dans les hôpitaux conduit à des négociations longues et laborieuses sur l’ARTT, le CET, le TTA, les RTT, la DE des 48 h hebdomadaires.
  • 2009 : L’élargissement du SNPHAR, sa transformation en SNPHAR élargi (SNPHARe) a obéi à une logique : assumer la ligne de conduite constante, aujourd’hui partagée par APH,  à savoir défendre sans distinction l’ensemble des PH et l’Hôpital Public, et continuer à faire profiter tous et chacun, toutes spécialités et statuts confondus, des avancées statutaires, réglementaires, législatives, et de protection sociale
  • En 2017: Le statut de PH de 1984 reste un socle sur lequel s’appuient les réflexions, propositions et actions de chacun de nous. Mais il est affaibli au fil des nécessités conjoncturelles et des idéologies au pouvoir, par la création d’autres statuts, comme celui des cliniciens hospitaliers, et par les positions managériales parfois inadaptées de  certaines directions hospitalières sous la pression d’impératifs financiers et productivistes qui favorise la précarité et l’absence d’attractivité. Le statut est critiqué d’un côté pour sa rigidité, son obsolescence, son inadaptation aux nécessités de l’époque, d’un autre pour les privilèges qu’il confère. Il reste un repère pour son éventuelle refonte, ou son remplacement par une structure encore indéfinie.
 
 

 

Avec le soutien du Groupe Pasteur Mutualité

 

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Campagne nationale
" Dis Doc', t'as ton doc' ? "  pour faire évoluer le modèle culturel des médecins !

 

Retrouvez toute l'information dans le communiqué de presse (cliquez ici)

www.cfar.org/didoc/ 

 

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Actu'APH n°16

       

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     Les annonces de recrutement octobre 2023

 

             retrouver ces annonces sur le site reseauprosante.fr

 

Les dernières actus

75 % DES MEDECINS HOSPITALIERS RISQUENT DE QUITTER L’HOPITAL PUBLIC DANS LES 5 ANS… … PARCE QUE PERSONNE NE PREND SOIN DES MEDECINS HOSPITALIERS.

MISSION-FLASH : UN NOUVEAU RATAGE GOUVERNEMENTAL (PREVISIBLE) !

Ce vendredi 1er juillet, Action Praticiens Hôpital dévoilait à la presse les résultats complets de l’enquête « Nuits Blanches » sur la permanence médicale des soins à l’hôpital public : 75 % des praticiens hospitaliers risquent de quitter l’hôpital public dans les 5 ans à cause de la permanence des soins. En parallèle, le rapport de la mission-flash sur les urgences était remis à la Première Ministre. Un rapport sans doute amoindri à la demande de la Première Ministre, puisque seules 41 des multiples propositions [CP1] [WA2] envisagées par la mission ont pu figurer dans le rapport.

le dossier de presse

Lettre aux élus De La République

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Paris, le 22 juin 2022

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président, Madame la rapporteure de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France

Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,


Action Praticiens Hôpital, union d’Avenir Hospitalier et de la Confédération des Praticiens des Hôpitaux, organisation majoritaire aux dernières élections professionnelles pour le Conseil Supérieur des Personnels Médicaux vous remercie pour l’écoute attentive lors de notre audition au Sénat du 9 décembre 2021. Nous vous remercions pour le rapport que vous avez publié le 29 mars 2022 et nous nous permettons de vous rappeler notre proposition de réfléchir ensemble sur les modalités législatives à mettre en œuvre pour faire évoluer la situation de l’Hôpital Public et de l’accès à un juste soin qui se dégradent sur l’ensemble du territoire national.

Nous représentons les médecins, pharmaciens, odontologistes des hôpitaux et faisons partie des corps intermédiaires élus. Nous sommes issus du terrain et des terroirs de notre Nation. Nous appartenons à l’Hôpital Public pour lequel nous œuvrons jour et nuit pour permettre un accès aux soins à tous nos concitoyens, vos électrices et vos électeurs, pour qu’en France vivre en bonne santé soit et reste une réalité.

Dans cette lettre nous vous résumons une partie de notre analyse sur les points de blocage et les leviers que la Loi devra changer pour que demain le pilier Santé retrouve sa juste place dans notre société. Pour que l’ensemble des praticiens et soignants des établissements de santé, du médico-social comme de la ville puissent retrouver la sérénité d’exercice dont ils ont besoin pour répondre aux attentes des patients et de leur famille.

Nous avons subi depuis des décennies le dogme de la rationalisation fiduciaire et notre système est à bout de souffle, au bord d’une rupture irrémédiable. La France qui dans les années 2000 était à la pointe de la médecine dans le monde se retrouve aujourd’hui au 23ème rang.

Notre rôle de corps intermédiaire a été trop souvent ignoré et parfois maltraité par une gangue administrative qui a parfois perdu le sens des valeurs de notre société. Nous connaissons bien les territoires et ce que nous avons à faire pour le bien commun. Nous vous l’avons démontré depuis longtemps et encore plus lors de la première vague Covid. Nous avons alerté également maintes fois pour que les choses évoluent…

Il semble temps aujourd’hui de changer de méthode et de retrouver des objectifs quantitatifs acceptables mais surtout qualitatifs en termes de juste soin pour les patients et d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle pour nous vos soignants. Ces conditions sont indispensables pour que nos concitoyens puissent retrouver une espérance de vie en bonne santé superposable à celle des autres pays et que les acteurs du soin que nous sommes puissent également retrouver le sens de leurs métiers.

Nous ne sommes pas abstentionnistes ou spectateurs passifs mais des acteurs engagés pour construire le renouveau tant attendu par les Françaises et les Français et clairement exprimé ces dernières semaines. Nous sommes et serons là pour vous aider à reconstruire et à moderniser l’existant pour que le vivre ensemble en bonne santé ne soit plus un mirage mais redevienne une réalité pour toutes et tous en tout point du territoire.

APH est à votre disposition pour travailler dans cette direction dans un respect mutuel et autour des valeurs de notre République.

Prenez soin de vous, des vôtres et de la santé de vos administrés comme celle de l’Hôpital Public et de notre système de soin.

 

APH REAGIT A LA « NOTE AU GOUVERNEMENT » DE MARTIN HIRSCH

 

Tribune APH du 9 mai 2022

 

Martin Hirsch, directeur général de l’APHP, s’est autorisé à envoyer une « note au gouvernement » [1] qui ressemble à un acte de candidature au poste de ministre chargé de la Santé. Dans cette note, adressée en copie à la presse, il étale ses réflexions et ses propositions pour l’hôpital public… Nous nous limiterons ici à commenter ses propositions, exposées comme une profession de foi.

Faire le constat du naufrage de l’hôpital public, annoncé par les syndicats depuis longtemps, fait désormais l’unanimité. Les discours des politiques et des administratifs assurant que l’hôpital tient toujours debout, qu’il a tenu pendant la pandémie, que la résilience des hospitaliers est inaltérable ne sont que façade. La réalité de notre quotidien est tout autre : la souffrance des hospitaliers explose, déprogrammations et fermetures de services résultent du manque de professionnels paramédicaux et médicaux, qui fuient en nombre le service public hospitalier. Nombre de celles et ceux qui restent encore sur le front sont rongés par un épuisement professionnel et personnel.

Cependant, les angles de vue proposés par Martin Hirsch sont inquiétants, en profond décalage avec les métiers du soin et la notion de service public.

  • Considérer que le soin se résume à une productivité mesurable est d’une cruelle indécence pour tous ceux dont on salue la vocation, l’humanisme et tout simplement le professionnalisme. Dans quelque secteur du soin que ce soit, le geste technique – qui rapporte à l’hôpital – n’est rien sans la relation du soignant avec le patient, sans le travail d’équipe, sans la réflexion sur son propre travail. C’est pourtant bien cette perte de sens qui fait fuir ou qui épuise les professionnels de santé.
  • Considérer que le professionnel de santé est un pion qui joue individuellement et que l’on peut balader d’un service à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une région à l’autre est encore une fois oublier le sens du soin à l’hôpital. Une équipe se construit, a une histoire, un projet, elle se renouvelle, mais doit savoir garder ceux qui s’investissent pour elle et doit donner la possibilité à chacun de s’investir, pour se sentir partie prenante de l’œuvre commune de soigner, d’accompagner et du vivre ensemble.
  • Considérer l’hôpital sans la ville oublie que le système de santé doit être centré autour du patient, et de son médecin traitant, et non du CHU parisien. Le champ du médico-social semblerait aussi avoir été omis… Le passage à l’hôpital d’un patient ne devrait se faire que lorsque les moyens de la ville et du premier recours sont dépassés : compétences spécialisées, plateaux techniques et maternités.
  • Défier les corps intermédiaires élus et donc légitimes, c’est-à-dire les syndicats – ce terme n’est même pas mentionné dans sa note – comme ne défendant pas les intérêts des praticiens est particulièrement déplacé. L’exemple de la discussion lors du Ségur sur la permanence des soins… à laquelle il n’a pas participé, contrairement à nous ! – en dit long sur sa vision du dialogue social…

Ainsi, ses propositions sont-elles également en décalage avec les métiers du soin hospitalier.

  • L’attractivité (jamais nommée dans la « note ») ne peut se résumer au problème des rémunérations. Il est si facile d’occulter les réelles difficultés : permanence des soins, temps de travail, reconnaissance de la pénibilité, équilibre vie professionnelle et personnelle, adaptation des contraintes à la parentalité… Le Ségur a été insuffisant, quand il n’a pas été insultant pour les praticiens hospitaliers. Le chantier de l’attractivité est à ouvrir réellement, courageusement : c’est une des priorités à mettre en œuvre immédiatement.
  • La mobilité versus la carrière à vie ? Destructrice de l’équipe et de tout projet professionnel, la perpétuelle mobilité contribuerait à envoyer les praticiens vers des carrières « à vie » dans les établissements qui le proposent : les établissements privés. Si nous sommes d’accord sur le fait que la concentration des prérogatives « clinique, enseignement, recherche et management » sur les seuls hospitalo-universitaires n’a pas de sens, il n’y a en revanche aucune honte à être praticien hospitalier toute sa vie, ou pendant un temps long, dans un même établissement. Il n’y a aucune honte à y travailler sans aspiration hospitalo-universitaire. Le travail hospitalier des praticiens implique la constitution de projets à long terme, d’investissements financiers, mais aussi de création de réseaux avec la ville, le médico-social et de suivi des patients porteurs de pathologies chroniques complexes. Monsieur Hirsch sait-il seulement ce qu’est le travail d’un praticien hospitalier, d’un soignant ?
  • La casse du statut ? Oui, les professionnels de santé gagneraient à être reconnus ou assimilés à des fonctionnaires « régaliens », plutôt que de poursuivre leur engagement dans l’hôpital public tout en voyant des collègues faire de l’intérim pour des rémunérations qui vont jusqu’à dix fois la leur, pour produire de l’acte sans contribuer aux piliers essentiels de l’hôpital que sont l’équipe, les liens entre services et la vie institutionnelle. Tous ces nouveaux contrats dont rêve Monsieur Hirsch ne font pas avancer l’hôpital : ils continuent à le détruire davantage. Les professionnels de santé engagés dans l’hôpital public demandent seulement à être rémunérés en fonction du travail qu’ils réalisent, où pénibilité et responsabilité doivent être prises en compte.
  • La gouvernance souffre en tout premier lieu de démocratie, notamment dans la désignation des chefs de service et de pôle. Aucun projet de réforme de gouvernance ne peut voir le jour sans ce prérequis. L’évocation des instances médicales et paramédicales des instances de gouvernance n’appelle pas la comparaison suggérée par Martin Hirsch : ni leur composition ni leurs missions ne sont comparables, ce d’autant qu’aucune représentation syndicale médicale locale n’est actée dans les établissements publics de santé. Cette absence d’implication des syndicats de praticiens hospitaliers à l’échelon du territoire de santé est une anomalie qui interroge…

Action Praticien Hôpital ne cesse d’appeler à réformer le système de santé et continuera à porter les principes de la qualité de vie des praticiens hospitaliers ; c’est l’intérêt de l’hôpital public : ceux qui y travaillent, ceux qui y sont soignés. Pour nous, le statut de praticiens est un gage de sûreté pour ce corps mais également d’équité sur l’ensemble du territoire national. Contrairement aux propos de Monsieur Hirsch, le cadre qu’il définit comme « rigide » de l’hôpital public ne l’empêche pas d’évoluer. Au contraire, il sécurise une réforme nécessaire, tout en gardant les prérogatives du service public comme les valeurs de la République pour défendre notre système solidaire de santé.

Nous défendrons des actions pour promouvoir un renouveau du système hospitalier et de celui de la santé en conservant les fondamentaux comme ceux des statuts, des engagements par conviction au service des patients et dans un esprit d’équipe et avec une rémunération revalorisée mais sans lien avec de l’intéressement et de la spéculation.

Cette réforme sera coûteuse mais elle est nécessaire, et elle sera efficace.

Ayons le courage de définir la place de l’hôpital public dans le système de santé : il n’est en concurrence ni avec la médecine de ville, ni avec l’activité des cliniques lucratives dont les missions et les objectifs sont différents.

Ayons le courage de mettre sur la table le problème du temps de travail des praticiens hospitaliers, chantier éludé du Ségur, et mettons en regard les rémunérations avec le volume horaire de travail réalisé par les praticiens.

Ayons le courage de corriger l’erreur du Ségur qui a valorisé l’engagement des jeunes sans considérer celui de ceux qui tiennent l’hôpital public depuis des dizaines d’années : donnons à tous la bonification d’ancienneté de 4 ans.

Ayons le courage de mettre sur la table le chantier de la permanence des soins : pas timidement et de manière insultante comme au Ségur, mais par une revalorisation massive à hauteur de la permanence des soins effectuée par les libéraux (le rapport de l’IGAS sur le sujet n’est toujours pas public…), et par une prise en compte des effets collatéraux du travail de nuit : pénibilité, déséquilibre vie professionnelle – vie personnelle, morbidité induite et réduction de l’espérance de vie.

Ayons le courage d’officialiser les mesures d’attractivité plutôt que de laisser perdurer les petits arrangements opaques, à la limite de la légalité, dont le principe et de nombreux exemples sont pourtant connus des tutelles.

Ayons le courage de réformer la gouvernance en imposant une réelle démocratie sanitaire, dans la désignation des chefs de service et de pôle autour d’un projet médico-soignant. Donnons la possibilité de faire exister les syndicats médicaux dans les établissements au même titre que les syndicats paramédicaux. Les syndicats et leurs représentants ont un rôle à joueur pour faire vivre le dialogue social dans les établissements de soins mais également sur les territoires de santé.

Ayons le courage d’un dialogue social équilibré. Les erreurs de trajectoire pour l’hôpital public, et notamment les plus récentes, sont le fruit de négociations tripartites où directeurs et DGOS ont une connivence à peine voilée, tandis que la parole – et même le vote – des praticiens concernant les évolutions est quasiment ignorée. Écouter le terrain sans le suivre nous a conduit dans le mur. Appliquer les propositions des représentants légitimes que sont les syndicats est la seule planche de salut pour l’hôpital public : Action Praticiens Hôpital, union d’Avenir Hospitalier et de la Confédération des Praticiens des Hôpitaux, et ses composantes, représentant l’ensemble des spécialités médicales, odontologiques et pharmaceutiques, majoritaires chez les praticiens hospitaliers et les contractuels aux dernières élections professionnelles, sera présent et force de propositions.

Jean-François Cibien- Président AH, Président APH, 06 07 19 79 83

Carole Poupon - Présidente CPH, Vice-présidente APH ; 06 76 36 56 67

Yves Rébufat - Président exécutif AH , 06 86 87 62 76

[1] https://www.lesechos.fr/economie-france/social/hopital-le-temps-de-la-refondation-1404467

 

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