Editorial - Ni sourds, ni aveugles !

Catégorie : détail de la revue AH10
Publié le jeudi 28 juin 2018 05:43
Après cette première année du quinquennat Macron, on peut discerner ses objectifs pour la santé en général, l’hôpital et ses praticiens en particulier. Là où le quinquennat Hollande était fait de tergiversations, de stagnation et de verbiage creux, le nouveau gouvernement va visiblement mettre de l’action brutale, de la régression des salaires et des postes, et du mensonge permanent. Alors que l’hôpital n’en peut plus des brimades qu’il a subies tout en devant accueillir de plus en plus de patients que la ville ne veut plus prendre en charge (malgré un ONDAM systématiquement favorisé par rapport à l’Hôpital), nous voyons arriver en même temps la poursuite du gel des salaires pour 5 ans, la hausse de la CSG mal compensée, la diminution drastique du nombre des postes (annoncée discrètement le 8 mai ) et l’hôpital-bashing tous azimuts. Le tout accompagné d’un discours dégoulinant de bienveillance et d’empathie, toujours démenties par les faits.
 

Que nous promet-on, et qu’arrivera-t-il plus probablement ?

 
Les promesses : un système de santé rénové, plus efficace, plus ambulatoire, plus fluide, plus pertinent (après « l’efficience » du quinquennat précédent, celui-ci sera « pertinent »), avec moins d’actes mieux rémunérés.
 
Ce qui arrive : on l’a vu, un essorage jamais vu des services publics, la santé étant la cible prioritaire (les deux quinquennats précédents s’étaient chargés d’attaquer la justice et la police, puis l’Éducation Nationale). Chaque annonce de destruction de la santé est précédée quelques jours avant d’une nouvelle exonération pour les 1 % des plus riches, avec une prédilection pour ceux qui exilent leurs revenus, sans aucun intérêt pour le pays : on a vu la baisse de l’impôt sur les dividendes et les plus-values suivies de la reconduction du blocage des salaires des agents publics, la suppression de l’ISF suivie de la hausse de la CSG, la fin de l’Exit-Tax sur les exilés fiscaux, suivie donc de l’annonce de la suppression de 30 000 postes dans les hôpitaux.
Les Français aiment leur hôpital et risquent-ils de protester ? Qu’à cela ne tienne ! On vous servira sur un plateau télévisé une histoire par semaine de « ratage » de SAMU, de mort anormale aux urgences, d’une personne âgée mal surveillée et, au lieu d’en tirer les bonnes conclusions, on déroulera le discours habituel de celui qui veut tuer son chien et commence par l’accuser d’avoir la rage : on pointe des responsabilités individuelles !
 
Parmi les évolutions qui seront proposées et qu’Avenir Hospitalier se propose d’accompagner au sein de la grande intersyndicale Action Praticiens Hôpital qu’il forme avec la CPH, plusieurs axes stratégiques se dégagent :
- la poursuite de la logique de territoire : actuellement limité au GHT (avec le H d’hôpital), le territoire pourrait s’étendre à l’ensemble du dispositif de santé : les PH pourraient aussi bien exercer à l’hôpital qu’en dispensaire voire à domicile, pour suivre les parcours de soins. Il appartiendrait alors aux équipes hospitalières de s’inscrire avec volontarisme dans cette organisation, sous peine de devenir un garage de la filière de soin sans levier d’action sur la dite organisation.
- la numérisation accélérée : depuis le temps qu’on la promet… Il apparaîtrait enfin un dossier patient, qu’il pourrait porter avec lui, sous forme d’une clé USB ou d’un mot de passe sur un espace de stockage, consultable par qui il choisirait.
- la réforme de la tarification : là encore, le double discours est roi : on nous annonce (comme Hollande en son temps) la fin de la T2A, inefficace, poussant à la sur-prescription d’actes, injuste et obsolète, et on nous annonce la venue de la T2A sur le champs du SSR voire de la psychiatrie, qu’on rebaptise DMA (Dotation Modulée à l’Activité) histoire de ne pas dire qu’on étend la T2A au lieu de la restreindre !
- la réforme des CHU : pour fêter l’ordonnance qui les fonda il y a 60 ans, il est question de décloisonner la recherche et l’enseignement. Par exemple en créant des valences permettant de reconnaître l’investissement des PH envers la recherche et l’enseignement, en relation ou pas avec un CHU. Ce chantier est lancé mais pour l’instant, on peut dire qu’il y a une certaine opacité dans la direction recherchée…
- la réforme des rémunérations : elle découle du reste. En effet, entre les valences hospitalières et les exercices mixtes ou hors les murs, il y aura obligatoirement des évolutions, sur lesquelles AH restera particulièrement vigilant. S’il s’agit d’ajuster un salaire sur l’implication réelle de chaque praticien dans les parcours de santé, au sein d’un statut rendu plus souple et plus attractif pour les PH les plus impliqués, on ne peut qu’applaudir. S’il s’agit au contraire de faire exploser le statut pour ensuite faire la course au moins-disant, et saupoudrer des primes à la tête du client pour favoriser les médecins les plus serviles avec un directeur-distributeur de primes, nous nous y opposerons farouchement.
 
Le Praticien Hospitalier est l’âme de l’hôpital, sa fierté et sa colonne vertébrale. C’est le médecin qui a les plus grandes responsabilités, et le plus haut niveau d’études, il est anormal qu’il ne soit plus en haut de l’arbre décisionnel et de la grille de salaires ! L’hôpital est l’endroit où on choisit de travailler parce qu’on se retrouve dans les valeurs de service public. Qu’on ne vienne pas nous servir le discours anti-fonctionnaire à base de sécurité de l’emploi ! Quel médecin craint vraiment actuellement de se retrouver au chômage alors que 30 % des postes de PH sont vacants ? Que l’intérim prospère tellement qu’un syndicat ose se créer pour lutter contre les hôpitaux qui appliquent la Loi en plafonnant leur rémunération !?
 
Il n’y a aucune raison que nous soyons ainsi méprisés ou rabaissés, il n’y a aucune raison que nous acceptions d’être écartés des décisions concernant les hôpitaux, et la profession est désormais prête à se défendre : que le gouvernement n’aille pas trop loin dans ses attaques au plus essentiel des services publics, ou il s’en mordra les doigts ! Nous accepterons et accompagnerons les réformes, toujours, mais nous refuserons vigoureusement la casse de l’hôpital !
 
Renaud Péquignot (Président d'AH)