Plan d’attractivité et GHT : un entretien avec la directrice générale de la DGOS

Catégorie : Détail de la revue AH5
Publié le jeudi 23 juin 2016 13:46

  En 2011, alors directrice d’hôpital, Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé a été consignataire du manifeste pour une santé égalitaire et solidaire. Cinq ans plus tard, pourra-t-elle atteindre des objectifs qu’énonçait clairement ce manifeste en matière d’accès aux soins et de démocratie sanitaire ? Nous avons demandé à la nouvelle Directrice Générale de la DGOS de répondre à nos questions. 

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Je me souviens bien de ce manifeste et de ma signature à l’époque. C’est un texte qui rappelait les valeurs de solidarité et d’égalité qui fondent notre système de santé. Comme pour l’immense majorité des professionnels du secteur, ces valeurs guident mon action ; hier comme directrice d’hôpital, et aujourd’hui comme directrice générale de l’offre de soins.

 

Le texte résumait les défis de notre système de santé, notamment sa nécessaire transformation vers davantage de prévention des risques individuels et systémiques, de prise en compte des pathologies chroniques... Il manifestait aussi l’inquiétude compréhensible des professionnels quant à l’indépendance de leurs pratiques ou à leurs conditions de travail.
 

Indépendamment de qui l’a écrit et de qui l’a signé, il s’agissait d’un texte en phase avec son époque. Sans le reprendre ligne à ligne, la situation a évolué, souvent positivement, même s’il est vrai que certains constats et pistes de progrès soulevés à l’époque restent devant nous. 
 

Avenir Hospitalier : Vous allez déployer les mesures réglementaires déclinées du Plan Attractivité retenu par la ministre. La totalité des outils d’attractivité serait donc disponible, comme initialement prévu, dès novembre ? Rappeler les outils et leur date de parution.

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Le programme de travail arrêté avec les membres du groupe de suivi du plan d’action attractivité reposait, conformément aux annonces faites par la ministre, sur un calendrier de mise en œuvre des mesures échelonné entre 2016 et 2017. En conséquence, le rythme de réunions travail a été soutenu. Il a associé l’ensemble des acteurs concernés par chaque mesure et je suis consciente de l’implication que cela a demandé à chacun au cours de ces six derniers mois. 


Les mesures les plus attendues seront finalisées cet été pour mise en œuvre à l’automne. Il s’agissait d’une demande expresse de la ministre et d’une attente forte de l’ensemble des partenaires. Je pense en particulier à :

 

D’autres mesures du plan d’action attractivité seront travaillées au cours des prochains mois avec la même volonté et le même état d’esprit de concrétiser les engagements de la ministre à travers des mesures pragmatiques, adaptées aux enjeux de l’attractivité et susceptibles d’être déclinées dans l’ensemble des établissements publics de santé.

Avenir Hospitalier : Certaines mesures phare rappelées récemment par les intersyndicales (voir communiqué de presse APH) ne figurent pas dans le plan attractivité : revalorisation de l’IESPE ou possibilité effective de contrôler son temps de travail, régime d’équivalence avec la 5° demi-journée en cas de permanence des soins. Elles concerneraient pourtant la majorité des 48 000 praticiens en exercice. Ne craignez-vous pas de laisser sur leur faim tous les autres praticiens qui, ne bénéficieront pas des mesures d’entrée ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Fruit d’une large concertation, le plan d’action présenté par la ministre en novembre 2015 est ambitieux. Il comprend une vingtaine de mesures. Elles représentent un total d’engagements à hauteur de 250 M€. C’est considérable compte tenu des efforts demandés par ailleurs. Pourtant, compte tenu de l’importance des enjeux d’attractivité médicale dans les hôpitaux, chacun doit en prendre la mesure.
 

Le choix a été fait de fait de structurer la démarche en trois axes forts traduisant son ambition et ses objectifs :

  1. Favoriser l’engagement dans la carrière hospitalière.
  2. Fidéliser les professionnels et favoriser leur implication dans les projets médicaux de territoire.
  3. Encourager l’animation des équipes et améliorer les conditions de travail.
     

Il s’agit de s’adresser aussi bien aux futurs et jeunes médecins en les incitant à embrasser une carrière hospitalière qu’aux médecins en exercice auxquels il faut donner l’envie de rester à l’hôpital. 
 

Aux mesures mentionnées précédemment, je voudrais ajouter celles à venir. Elles porteront sur la dynamisation des parcours professionnels, la promotion du management des équipes médicales ou encore sur les conditions et la qualité de vie au travail. Toutes concourent à la fidélisation des praticiens en exercice.
 

Avenir-Hospitalier : Les PH, ne sont ni fonctionnaires, ni ne relèvent du secteur privé. Sont-ils pour autant à l'écart des mesures que comporte la Loi Travail notamment son article 2 avec la prééminence donnée aux accords locaux ? N’y a-t-il pas pour l’avenir, un risque de rupture statutaire sur le territoire national ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : La Loi travail modifie le code du travail. Les PH sont soumis au code de la santé publique. Ils ne sont en rien concernés par cette loi qui ne modifie ni leur statut ni les règles qui leur sont applicables.
 

Avenir-Hospitalier : En tant que DG DGOS, quel regard portez-vous sur ces inquiétudes et cette focalisation des praticiens sur leur temps de travail ? Le contenu ou l’autonomie d’organisation feraient donc moins sens dans l’hôpital d’aujourd'hui ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Sur ce sujet, il y a beaucoup à dire. La question du temps de travail des praticiens est une question complexe à appréhender, je ne vous apprends rien. Elle est à l’interface de dimensions d’essence juridique, culturelle, organisationnelle ou encore personnelle. Les aspirations en matière d’équilibre vie professionnelle / vie privée évoluent. C’est un mouvement qui traverse la société et les médecins - les plus jeunes en particulier - n’y échappent pas. Je n’ai pas une vision « à charge » d’une nouvelle génération qui ne souhaiterait pas s’investir comme l’aurait fait leurs ainés.
 

Souvenons-nous également des échanges tenus dans le cadre de la mission animée par le Sénateur Le Menn. Ils ont montré l’attachement de la communauté médicale au maintien d’un mode de décompte du temps de travail en demi-journées. La comptabilisation horaire n’est ainsi manifestement pas souhaitée par une grande majorité de praticiens, à l’exception spécialités qui connaissent des sujétions particulière liées notamment au poids représenté par la participation à la permanence des soins. Cela traduit un attachement à la possibilité de disposer d’une certaine forme d’autonomie dans la gestion de son temps de travail personnel dans le cadre des organisations médicales collectives mises en place.
 

Il nous faut donc savoir tenir compte de ces souhaits en demeurant dans le même temps attentifs au respect de la réglementation en matière de temps de travail (ndlr : c’est le sens du contrat de temps de travail additionnel ou de la garantie du repos de sécurité après le dernier déplacement en astreinte), des organisations collectives opérationnelles et des spécificités de certaines activités.
 

L’exercice n’est pas simple, les habitudes et les représentations sont parfois prégnantes. Cependant j’ai bon espoir que nous parvenions à faire évoluer notre système, sans révolution mais par une série de mesures ciblées. Nous pouvons nous appuyer sur le rappel des cadres réglementaires existants, la diffusion d’outils de nature à faciliter l’organisation et la gestion collective et individuelle du temps de travail (je pense notamment aux maquettes d’organisation des activités médicales et aux tableaux de service). En ce sens, la responsabilisation de l’ensemble des acteurs, les praticiens eux-mêmes mais également les managers médicaux, les CME comme les directions d’établissements sera un levier majeur.
 

Je retiens enfin dans les débats sur le temps de travail, la question du « temps non clinique ». Je la perçois comme une demande des praticiens de pouvoir travailler en équipe, de prendre du recul sur leurs activités, de construire des projets, de s’investir dans leur formation, dans celle des autres, dans la recherche et dans la vie institutionnelle. En cela, c'est un bon signal.

 

Avenir Hospitalier : Parlons GHT. La communauté hospitalière doit s’approprier la révolution GHT engagée par la LMSS : sur le terrain, les collègues manquent d’informations, le calendrier de mise en œuvre du versant médical n’est-il pas alors trop ambitieux ? L'esprit GHT est-il en bonne voie d’installation dans la communauté hospitalière ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Une grande partie des actions que le ministère porte, avec les ARS et ses autres partenaires, vise à organiser le système de santé au niveau territorial. C’est le bon niveau pour analyser les besoins de santé, faire travailler ensemble les professionnels de santé et mettre en œuvre une régulation qui tienne réellement compte des contingences locales pour in fine apporter une réponse globale aux besoins de la population. La mise en œuvre des GHT est le versant hospitalier de ce mouvement de territorialisation de nos organisations. Il part du constat qu’un établissement seul ne peut apporter l’intégralité des réponses aux besoins de santé de la population. Il ne peut réunir toutes les compétences, pas plus qu’il ne peut suivre en investissements le cycle toujours plus soutenu des innovations médicales et technologiques. Ces états de fait, déjà vrais aujourd’hui, le seront davantage encore demain.
 

Comprendre et partager les besoins de santé de la population sur un territoire et y apporter globalement une réponse coordonnée est la « clé stratégique » de la mise en œuvre des GHT. Cela donne au projet médical partagé un rôle central dans cette réforme. La question du calendrier, qu’il s’agisse du délai ou de la séquence (approbation des conventions constitutives avant le projet médical partagé), est donc légitime. J’ai conscience qu’au travers du rôle central des projets médicaux partagés, le corps médical a une responsabilité très importante.
 

Le PMP emporte des questions cruciales pour nos concitoyens et pour l’ensemble des professionnels qui fondent l’« esprit GHT » que vous invoquez :

Quand on mesure les enjeux, la question du calendrier est légitime. Cette question à toutefois été tranchée. La décision prise est inscrite dans les textes et nous devons la recevoir comme un signal mobilisateur au travers de l’identification des premières orientations stratégique dès le 1er juillet 2016 puis des « filières » au 1er janvier 2017. Bien sûr, avec un nouveau jalon prévu au 1er juillet 2017, les stratégies médicales des GHT s’affineront avec le temps. A partir de cette date, les projets médicaux et les projets de soins, finalisés et portant sur 5 ans, pourront évoluer autant que de besoin, comme évoluent aujourd’hui les projets des établissements de santé.
 

Dans votre interrogation, la question de la conduite du changement est sous-jacente. Nous en percevons l’importance. Le dispositif d’accompagnement prévu au niveau national est important. Mais il ne peut qu’appuyer des discussions au niveau local, en aucun cas s’y substituer. Il est important que des informations claires sur l’ambition et les modalités de mise en œuvre des GHT circulent jusqu’aux professionnels de première ligne.

 


S’agissant du projet médical partagé, les discussions doivent débuter entre équipes médicales, sous l’égide des présidents de CME et avec le support logistique des directions (organisation des rencontres, apport de « matériau » pour étayer les réflexions…). Dans nombre d’établissements les discussions ont débuté et bien avancé, mais il faut les systématiser. A partir de la création des GHT, les communautés ont devant elles plusieurs mois pour élaborer leur PMP.
 

Pour accompagner le changement, diverses mesures sont d’ores et déjà prises, comme :

Egalement, les établissements et agences pourront s’appuyer sur l’enveloppe de 10 millions d’euros, mobilisée pour financer :

Enfin, rappelons l’engagement de la ministre sur un plan « territoire de soins 2021 » qui accompagnera des investissements structurants pour les territoires et les GHT.
 

Avenir Hospitalier : Mettre en œuvre une réforme est toujours un pari sur l’avenir. Avec les GHT, tout reposera sur la capacité à convaincre des PH et des directeurs à s’engager dans nouvelle forme de l’organisation hospitalière. D’un côté, l’obligation pour les établissements, et de l’autre, le volontariat pour les PH ? En gros, un praticien qui s’engage à faire vivre le GHT sera incité financièrement, mais quels autres aspects pourriez-vous souligner ici au titre d'éléments de motivation ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : La loi impose en effet aux établissements publics de santé de coopérer dans le cadre des GHT. Ce cadre de coopération, s’il est obligatoire, survient après plusieurs décennies de coopérations entre établissements de santé basées sur le volontariat. Cette obligation marque le souhait de les systématiser pour que l’ambition décrite précédemment s’applique sur tout le territoire national.
 

Mais à cette vision dorénavant partagée d’une organisation hospitalière nécessairement territorialisée, répond une vision de l’exercice de la médecine en phase avec ces nouveaux périmètre me semble-t-il. Dans leurs discours, les présidents de CME, sociétés savantes, doyens et les praticiens eux-mêmes ne souhaitent plus exercer de manière isolée. Les besoins de spécialisation, de maintien des connaissances, de partage des contraintes, justifient une approche de la médecine au travers d’équipes suffisamment étoffées. C’est une question de qualité et de sécurité des prises en charge, mais également de qualité de vie au travail. Lors de la grande conférence de santé, les praticiens ont fait remonter leur souhait de davantage d’opportunités professionnelles, tout au long de leurs carrières, de plus de variété dans leur exercice. Ces aspirations sont un mix entre accès à la sur-spécialisation, aux plateaux techniques et aux innovations et souhait de pouvoir exercer dans la proximité, une médecine plus globale, plus polyvalente, plus humaine et plus ouverte sur la ville. C’est un signal enthousiasmant pour le développement de la proximité, qui est un rôle clé des GHT, inscrit dans la loi, et porteur d’enjeux très forts pour le système de santé dans son ensemble. Au final, les éléments de motivations sont multiples. Les incitations financières ne sont pas le seul levier.
 

Les GHT vont avoir un impact sur l’exercice de la médecine. Ils amèneront de nouvelles opportunités, de nouvelles contraintes aussi, mais le pari est que les nouveaux équilibres seront favorables. Dans ce mouvement, il est attendu que chaque praticien puisse contribuer à la réflexion constitutive de l’élaboration du PMP et que tous puissent s’inscrire dans ces dynamiques d’équipes nouvelles. Toutefois, chaque praticien ne sera pas tenu de s’inscrire dans une activité multisite. C’est du reste au management médical d’agir pour que les nouveaux équilibres soient rapidement trouvés et que ce changement se gère de manière équitable au sein des équipes.
 

Avenir Hospitalier : Parmi les sujets de crainte, la préfiguration d'un processus d’intégration des établissements évoluant progressivement vers la fusion. En ce cas, avoir entendu parler de 150 GHT au total est préoccupant pour notre organisation. Les directeurs ont fait part de leurs inquiétudes majeures. Comment rassurer les PH sur les limites de l’exercice des hyperGHT ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Ces inquiétudes sont fortement remontées dans toute la phase de construction des GHT. La seule réponse à apporter est « avançons, évaluons et au besoin, corrigeons ». Ce n’est pas un appel à faire et défaire, mais un message pour rappeler que l’histoire de la planification hospitalière s’inscrit dans une perspective historique plus longue et faite d’itérations. Il faut toutefois reconnaître que ces situations d’hyperGHT sont extrêmement limitées et nécessairement très observées.
 

Avenir Hospitalier : Le comité de suivi national des GHT n’a-t-il pas vocation à devenir, au moins en partie, une instance plus délibérative ou de recours, pour aider à l'arbitrage de situations conflictuelles entre ARS et établissements sur les périmètres ou sur la question de la conciliation GHT et CPT ?

Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé : Non, ce n’est pas son rôle et cela ne le sera pas. S’il y a besoin de recours ou d’arbitrages, ils auront lieu dans un autre cadre, et toujours en impliquant les ARS.

Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire. 123 personnalités s'engagent, par André Grimaldi, Didier Tabuteau, François Bourdillon, Frédéric Pierru, Olivier Lyon-Caen - Odile Jacob, 2011, 190 p., 12 euros.