Quel avenir pour l’hôpital public ?

Catégorie : Détail de la revue ACTU'APH n°1
Publié le vendredi 21 décembre 2018 19:51

    

André Grimaldi                       Anne Gervais

La rédaction vous propose une lecture nécessaire pour compléter cette rubrique inter générations ! Ce texte, à propos de l’avenir de l’hôpital public, a été écrit par André Grimaldi, professeur émérite de la Pitié Salpetrière et « lanceur d’alerte » et Anne Gervais, vice-Présidente de la CME de l'AP-HP qui exerce au service d'hépato-gastro-entérologie de l'Hôpital Louis-Mourier à Colombes. 

 
La crise de l’hôpital public est maintenant connue de tous et a de multiples causes.
 
- L’agonie prolongée du pouvoir mandarinal n’a pas permis de constituer une communauté médicale fonctionnant démocratiquement. Le « nouveau management » par la norme et par le nombre a favorisé l’éclatement des communautés soignantes (médicales et paramédicales). 
 
- L’affaiblissement du « pouvoir médical » a facilité le développement d’une techno-bureaucratie. Les soins et la recherche sont désormais plus entravés qu’encadrés par des règlements. Au nom de la sécurité et de la qualité, les soignants croulent sous les procédures. Ils ont perdu leur autonomie, condition de l’innovation et de la satisfaction au travail. 
 
- Certains jugent que la médecine est devenue industrielle. Ce discours idéologique rentre en parfaite résonnance avec le New Public Management (NPM) estimant que tout service public doit être géré comme une entreprise privée ayant pour objectif la rentabilité.
 
- L’hôpital souffre depuis plus de 10 ans d’un sous financement participant à la désorganisation, entraînant une baisse d’efficience et produisant un cercle vicieux destructeur. Les 35 heures ont été sous financées et ont entraîné la bombe à retardement des compte épargne-temps. Depuis cinq ans, l’hôpital sert de volant de régulation pour tenir l’objectif des dépenses de la Sécurité sociale voté par l’assemblée nationale. À la fin des fins, l’hôpital public se chargera t-il des activités non rentables – les maladies très graves et les patients très pauvres – laissant l’activité rentable aux cliniques commerciales ?
 

Dix propositions pour une Réforme Debré 2

1 - Parmi les CHU, 5 à 10 ont un niveau de recherche international. Ils pourraient constituer la tête de pont de groupement de recherche universitaire. La recherche clinique devrait être à la fois mieux financée et mieux évaluée. Sa gouvernance devrait être revue et simplifiée. La recherche clinique ne s’arrête pas à la porte des CHU, elle doit irradier l’ensemble des établissements de santé et impliquer largement les professionnels.
 
2 - Entre les quatre pouvoirs de l’hôpital : médical, administratif gestionnaire, paramédical et celui des usagers, il faut définir les domaines spécifiques de chacun, leurs domaines partagés et les procédures de décision en cas de désaccord. Il devrait y avoir un directeur médical élu, animant une commission médicale et un directeur gestionnaire nommé par l’ARS. La vie démocratique de l’institution à l’inverse doit remplacer le verticalisme actuel, dans sa forme autoritaire ( « si vous n’êtes pas content, personne ne vous retient ») ou pseudo-empathique (« j’entends votre colère… ») . 
 
3 - Le projet médical de l’hôpital doit s’inscrire dans un projet territorial de santé avec des conventions de partenariats passées entre différents établissements et acteurs du territoire en répondant à la graduation des soins : 
- 1er recours : médecine générale de proximité ville/hôpital de proximité 
- 2ème recours : médecine spécialisée ambulatoire ville/hôpital, 
- 3ème recours : médecine spécialisée hospitalière non ambulatoire, centres hospitaliers de référence.
 
4 - Les hôpitaux publics doivent participer à la lutte contre les déserts médicaux (consultations avancées, liens préférentiels avec les professionnels y travaillant, télémédecine). Il faut proposer aux étudiants des contrats d’engagement de service public dans un désert médical en échange d’un certain nombre d’avantages (salaire garanti, conditions d’exercice, libre choix de la spécialité…).
 
5 - Il existe plusieurs médecines : celle des maladies  aigues bénignes et des gestes techniques simples, celle des maladies aigues graves et des gestes techniques complexes et la 3ème, celle des maladies chroniques et de leur prévention. Les modes d’organisation et de financement doivent être adaptés à chacune d’elles. 
 
6 - L’hôpital repose sur des équipes de soins médicales et paramédicales co-animées par le couple médecin/cadre de santé. Il faut redonner de l’autonomie aux équipes, associer l’ensemble des personnels à la définition de l’organisation . 
 
7 - Il faudrait un statut unique de médecin hospitalier avec pour socle l’activité clinique et en sus deux activités parmi les cinq missions suivantes : soins, recherche, enseignement, gestion, santé publique. Ces valences d’activité devraient varier dans le temps en concertation avec les équipes concernées et après l’accord du directeur médical.
 
8 - Dans chaque hôpital un praticien de santé publique et un cadre de santé devraient être responsables de la politique de la qualité des soins et de la relation avec les professionnels du territoire, élaborée et mise en œuvre avec l’ensemble des services hospitaliers en impliquant les représentants des patients.
 
9 - Il faut revaloriser le salaire des médecins hospitaliers en début de carrière, préciser le temps de travail dû et mieux codifier les activités professionnelles annexes hors temps de travail. Les différences de revenus entre les médecins de ville et les médecins hospitaliers doivent être en partie compensées par une prime de service public modulée selon les spécialités et selon les régions. Cela suppose une limitation des dépassements d’honoraires ou leur mise en extinction pour les médecins installés en ville conventionnés en secteur 2 en revalorisant les tarifs du secteur 1. Il serait aussi logique que la Sécurité sociale finance une partie des frais de logistique et de locaux des médecins libéraux et que l’Etat crée une assurance publique pour couvrir les risques professionnels. 
Les infirmières commencent avec un salaire mensuel de 1500 euros (25ème rang des pays de l’OCDE, comparativement au salaire moyen dans chaque pays).
Il n’y a pas de réforme de l’hôpital public digne de ce nom sans augmentation des salaires des infirmières et des aides-soignantes. 
 
10 - Les études de médecine devraient être branchées en dérivation sur les filières universitaires existantes avec des quota par discipline (avec une priorité à la biologie mais aussi des places pour les filières littéraires ou les écoles d’ingénieurs). Cela donnerait des chances aux candidats sans les engager dans une voie sans issue et permettrait de diversifier les profils des étudiants se destinant au métier de médecin. 
 
La médecine est devenue scientifique et technologique mais elle n’est pas une technique ou seulement une science, elle reste en grande partie artisanale et repose sur des interactions humaines. Le médecin ingénieur, doit rester un artisan et, si possible, devenir un artiste ! 
 
André Grimaldi , Anne Gervais