Les GHT sont-ils en panne ? Où en sommes nous deux ans après leur création ?

Catégorie : détail de la revue AH10
Publié le jeudi 28 juin 2018 07:10
 
Depuis le 1er juillet 2016 tous les hôpitaux publics ont dû intégrer un groupement hospitalier de territoire (GHT).
Les GHT n’ont pas de personnalité juridique mais un établissement, dit support, assure les fonctions et les activités déléguées. À chaque GHT est associé un CHU au titre des activités hospitalo-universitaires. Les établissements privés, à but lucratif ou non, sont éventuellement partenaires mais ne sont pas membres à part entière des GHT.
La convention constitutive entre les établissements du GHT (conclue pour 10 ans) décrit les modalités d'organisation et de fonctionnement des instances communes ainsi que les compétences déléguées à l'établissement de support. Elle définit en théorie le projet médical partagé.
Un comité stratégique et un comité territorial des élus locaux sont théoriquement chargés de veiller à la mise en œuvre de la convention et du projet médical partagé. 
Deux ans après la parution de la loi de « modernisation du système de santé » créant la notion de GHT, peut-on faire un bilan de la création de ces entités ?
 

Le projet médical partagé : le grand absent 

La convention constitutive de chaque GHT doit définir un projet médical partagé. Une instance médicale propre au GHT devrait donc valider le projet médical et organiser la permanence des soins. Ce projet médical partagé devrait sous tendre en profondeur chaque GHT. Force est de constater que dans l'immense majorité des cas, ce projet médical n'existe pas ou bien a été rédigé à la va-vite par quelques technocrates déconnectés des réalités médicales de terrain. Ici, on cherche à fusionner deux plateaux techniques de tailles équivalentes qui sont distants de 60 km, séparés par des montagnes, et ne se concurrencent donc pas (Bourg en Bresse et Oyonnax) alors que le petit hôpital de Saint Claude esseulé dans le Jura à 30 km d'Oyonnax ne fait pas partie du même GHT ! Ailleurs, on maintient envers et contre tout deux maternités de faible activité distantes de 30 km de voie rapide plate (Guingamp  et St Brieuc) obligeant les médecins à jouer aux « bouche-trou » entre deux gardes sur place pour remplir les tableaux de permanence. Là où une logique de sécurité et d’ efficacité médicale devrait présider aux décisions, il semble que la technocratie comptable et le lobbying politique l'ai emporté. Cette absence de réel projet médical dans l'immense majorité des GHT est le principal échec du programme dans son ensemble. C'est la principale cause des nombreux conflits qui surgissent un peu partout dans les hôpitaux. 
 

Les équipes médicales communes, une illusion ? 

La constitution d’équipes médicales communes, sous la forme de pôles inter-établissements, devait permettre d'écrire le projet médical propre à la discipline, de définir les activités mutualisées et le cas échéant, transférées entre les établissements.
En pratique, la médecine d'urgence a été tout de suite lourdement mise à contribution pour constituer des équipes de territoires. L'application du référentiel de temps de travail spécifique aux urgentistes (limitation à 39 heures postées) a constitué un enjeu (pour ne pas dire un chantage) pour la constitution d’équipes médicales de territoire. Les primes d'exercice territorial prévues sont une mince compensation pour les praticiens ayant concrètement une activité multi-établissement. Les jeunes urgentistes sont d'emblée affectés comme « volontaires désignés d'office» sur ces postes multi-sites. Les plannings communs à plusieurs services et plusieurs établissements concernent souvent 40 ou 50 praticiens et même si tous ne « tournent » pas (et ne touchent donc pas tous la prime d'exercice territorial), tous sont sollicités en permanence (emails quotidiens, soirs et WE compris) pour boucher des trous qui impactent en cascade les plannings de chacun. 
 

GHT et spécialités

Pour les spécialités qui dépendent d'un recrutement et d'un suivi personnalisé (par exemple la chirurgie, la cancérologie, …) le partage d'activité d'un praticien entre deux établissement n'est pas non plus la panacée car au quotidien le praticien n'est « jamais dans le bon hôpital » pour le suivi de ses patients, le contact avec les correspondants etc… Il est difficile dans ces conditions de stabiliser une patientèle et de prétendre à des soins d'une qualité optimum. Ceci pénalise le recrutement, l'activité et au final les finances de l'hôpital !
Les départements d’information médicale ont été intégralement transférés à l’établissement support du GHT et les médecins DIM sont pour la plupart intégrés aux pôles de direction. Ces confrères sont plus que jamais devenus les otages des Directions d'établissement.
Les disciplines médico-techniques (pharmacie, biologie) sont regroupées à marche forcée. Malgré une certaine logique d'évolution technologique pour ces regroupements, une forte inquiétude existe chez les personnels qui craignent pour la pérennité de leurs emplois d'autant que la direction fournit très peu d'informations garantissant le maintien d'emplois en regard d'éventuels transferts d'activités. 
La psychiatrie estime ne rien avoir à gagner dans les GHT. Les syndicats et organisations représentatives de la psychiatrie publique ont demandé la création de GHT propres à la psychiatrie ou, au moins, la garantie de leurs spécificités fonctionnelles et les allocations de financements spécifiques à la santé mentale. 
Les plateaux techniques (bloc opératoires, maternité, plateaux d'imagerie) restent au cœur des restructurations potentielles avec les plus forts enjeux. Les difficultés de démographie médicale et de conditions d’exercice (permanence des soins) doivent conduire à repenser d'urgence l’organisation de ces plateaux techniques. Pour être acceptable le projet médical devrait être discuté au cas par cas en fonction d'impératifs de sécurité des soins et de qualité tout en prenant en compte les particularités géographiques. Il devrait recueillir un consensus global et aboutir à une organisation lisible pour tous.
 

Un bilan loin d’être satisfaisant...

Pour l'instant il semble que l'on assiste le plus souvent à des regroupements d'activité dictés par une logique comptable et pour alimenter quelques « éléphants blancs » hospitaliers ; voire que l'on se satisfasse d'un statu quo politiquement correct confortant les élites locales. Moins lisibles encore sont les projets publics-privés souterrains (Groupement de Coopération Sanitaires), n'apparaissant pas clairement dans les GHT et leurs prétendus « projets médicaux partagés ». Par exemple, Voiron et le CHU de Grenoble font partie du même GHT, mais à ce jour la CME du CHU de Grenoble n'est pas informée de l'avancée du projet de partenariat public privé visant à reconstruire un nouvel hôpital à Voiron en partenariat avec une clinique privée de l'agglomération. Mme Jacqueline Hubert, Directrice du CHU établissement support, était pourtant rédactrice (avec M. F. Martineau) du rapport ministériel sur la création des GHT !
Comment réfléchir à un projet médical commun lorsque l'on est confronté à de telles opacités ? Ceci illustre bien le peu de cas que font les technocrates de la logique médicale. Les GHT sont pour l'instant leurs jouets et ils n'ont absolument pas l'intention d'en partager la gouvernance avec qui que ce soit !
 
 
Au final, les GHT pourraient être une opportunité pour des restructurations harmonieuses, sous conditions d’un projet médical consensuel pour ses acteurs et du respect des intérêts des patients et des personnels hospitaliers. S’il est logique que la constitution des GHT conduise à restructurer certaines activités, ces restructurations ne doivent pas con-duire à mettre en difficulté les personnels des établissements concernés, faute de quoi elles seront vouées à l’échec. Les moyens de fonctionnement des équipes de territoire devraient être suffisants et largement incitatifs.
L'impression actuelle est que ce programme est en panne car les équipes médicales ne sont pas associées aux projets et à la gestion territoriale. Il est urgent de changer de modèle managérial sous peine de voir le programme GHT s'enliser définitivement.
 
Raphaël Briot