Suppressions de postes : comment soigner sans soignants ?

Catégorie : détail de la revue AH10
Publié le jeudi 28 juin 2018 06:57
Pour 2018, l’État veut diminuer encore plus la masse salariale des hôpitaux, de 1,2 milliards € d’ici la fin du quinquennat, rationnement budgétaire supplémentaire qui font suite aux 6,8 milliards € de baisse de l’ONDAM déjà annoncée ou « La destruction de l’hôpital de la Bienveillance ».
 
Nous précisons en préambule que l’échange qui suit ne serait peut-être pas que pure fiction ou presque… ou pire. Dans un des plus grands parcs naturels de notre beau pays, notre envoyé spécial a rencontré l’ancien directeur de l’hôpital de la Bienveillance, grand résistant à l’ordre de l’ONDAM et à son désordre. Cet ancien dirigeant explique comment les injonctions qu’il a reçues de l’ARS et de la DGOS par leur absence d’humanité et de pragmatisme ont selon lui généré ce drame.
Une annexe à cet entretien vous décrit l’ONDAM (voir sur le site www.avenir.hospitalier.fr). Les sources sont issues des PFLSS, de FIPECO et des banques de données « leaks-vraie vie » des paradis sociaux que sont nos centres hospitaliers.
 
 
EN BREF
 
Il manquerait pour 2018 16 milliards d’euros de budget hospitalier, soit un budget amputé de 19,82 % si l’on se réfère au modèle économique classique.
En considérant une moyenne de 2,5 % d’évolution de l’ONDAM depuis 2010, le budget théorique devrait plutôt se situer autour de 90 milliards d’euros, soit 14 % évaporés.
À cela il faut rajouter le gel des crédits gel décrit comme prudentiel.
 

L’entretien, pourquoi pas imaginaire… d’AH 

J’ai eu le privilège d’échanger quelques souvenirs avec cet homme dont l’empathie vous enveloppe. J’ai ressenti en lui une sensation étrange de mélancolie couplée à ce que je pourrais comparer à une forme de résignation. Mais ses propos par leur précision et leur pertinence m’ont glacé le sang
 
Pour lui, résistant de la première heure, quel bon père de famille aurait accepté de fermer les yeux sur ce pillage organisé du budget hospitalier ? Certainement pas lui ! 
 
Avant de détailler ce siphonage organisé, il commence par m’expliquer la naissance de l’hydre et donne son explication sur la propagation de la contamination. 
 
La tendance « naturelle » d’augmentation annuelle du budget santé en France se situe historiquement autour de 4 % avec des pics à plus de 7 % comme en 2002. Pour ce directeur, comme pour les spécialistes en économie, l’ONDAM est un indicateur et non pas un plafond. Son objectif était d’aider à la maîtrise du système mais il ne pouvait en aucun cas limiter les dépenses de santé. En effet, un tel principe aurait impliqué de cesser les remboursements aux patients une fois le plafond atteint ou peut-être de ne plus payer les agents hospitaliers ou les libéraux.
Après avoir été systématiquement dépassé entre 1997 et 2010, l’ONDAM est sous exécuté depuis cette date : les dépenses deviennent inférieures à ce qui avait été voté par le Parlement ! Miracle pour Bercy : Eureka !
Ce qui pour lui était un indicateur pour limiter les dépenses de santé est devenu un véritable paradigme. Ainsi un autre élément essentiel est à relever. Depuis 2004, alors que les dépenses de santé devraient augmenter de 4 % d’une année à l’autre, l’ONDAM est passé sous la barre des 3 % puis sous celle des 2% avec une véritable limitation des dépenses de santé.
Ce budget prévisionnel censé être une orientation économique raisonnable s’est transformé en gangue qui a accéléré la mise à sac de l’hôpital de la Bienveillance.
 
À y regarder de plus près, vous comprenez que le montant des économies réalisées s’élève à plusieurs dizaines de milliards d’euros (Cf annexe Ondam de l’article réalisée grâce à l’économiste Mr Os). 
 
Ainsi chaque année, le budget de l’hôpital étant rogné, le Directeur recevait comme ordres des tutelles « vous allez devoir faire mieux, encore mieux que l’an dernier ». Et le nouveau mot d’ordre devenait : « Plus de soins avec au mieux le même personnel, car le titre 1 tu limiteras ». 
Une problématique nouvelle et machiavélique pour un bon père de famille comme le directeur de l’hôpital de la Bienveillance qui considérait son personnel comme ses enfants. Comment faire face à la limitation des dépenses en rapport avec le Titre 1 ? Ces dépenses correspondant à la masse salariale. En considérant l’augmentation du coût du personnel automatique dans la fonction publique pour plusieurs raisons qu’il ne maîtrisait pas (titularisation, grilles indiciaires, primes allouées par l’État…) ? À cela il convient de rajouter le provisionnement des RTT issu du passage aux 35 heures et tous les frais en rapport avec l’augmentation du coût de la vie…
En sachant que les directeurs d’hôpitaux étaient notés et évalués essentiellement sur la progression du titre 1 de leur établissement, certains ont fait le choix de limiter les dépenses en personnel. Mais notre bon directeur a pris le chemin de la résistance. Il a ainsi réussi grâce à divers artifices (fusion de structures de soins, robotisation…) à conserver tous ses soignants. Il a dû se résoudre à externaliser certains postes de travail (jardinier, lingerie, restauration, téléphonie, une partie du système informatique) avec des coûts de revient et de maintenance supérieurs et surtout un service rendu inférieur à celui dont disposait l’hôpital de la Bienveillance lorsqu’il produisait ses services en interne. C’était sa seule concession pour sauver l’emploi des soignants ! Il tenait à peu près son budget en faisant le funambule entre les lignes budgétaires…
 
Il m’expliquait les rouages des lignes budgétaires avec leurs systèmes d’enveloppes, miscibles ou non, pour établir des budgets présentables aux yeux de la communauté hospitalière, des administrés et des politiques. Un bourdonnement sourd se fit entendre au loin puis se rapprocha. 
 
C’est alors qu’il m’expliqua la nouvelle étape qui a sinon organisé mais précipité la destruction de sa structure de soins toujours selon sa version. Il semble essentiel pour lui que l’avènement de la T2A soit venu détruire cet équilibre et cette paix sociale. En effet, la course à l’activité couplée au tout ambulatoire ont aggravé la situation. D’une part il était demandé par les directions hospitalières aux équipes soignantes de produire plus de soins en conservant en théorie une qualité toujours conforme aux bonnes pratiques D’autre part, en fin d’année le financement prévu n’était pas toujours au rendez-vous en raison des résultats du loto annuel du « gel des tarifs ». 
 
Au fur et à mesure de nos échanges le visage du directeur de l’ancien hôpital de la Bienveillance se creusa. Ce bruit décrit plus haut était celui d’un drone de Bercy avec le logo Santé qui tournait autour de nous depuis quelques minutes maintenant. Il tira une fronde de sa poche, tendit l’élastique et le drone fut coupé en deux ! Il rit aux éclats avec un sourire et un regard de paix… Notre discussion reprit de plus belle.
 
« Il fallait donc que je réduise mon personnel mais de nouvelles normes sont apparues avec la nécessité de recruter, entre autres, un ingénieur qualité et un directeur spécialisé dans la GRH puis un autre dans le GHT. » 
Toujours à la pointe ce bon directeur m’expliqua comment il a trouvé encore quelques subterfuges pour protéger encore l’emploi de soignants. Il a vendu quelques murs, puis supprimé des lits en regroupant des unités. Par ailleurs, il a même eu le grand prix de l’innovation hospitalière 2014 quand il a demandé aux familles de venir avec des lits gonflables pour pouvoir coucher leurs malades. Mais malgré tous les efforts qu’il a pu déployer pour protéger les soignants, il a dû accepter que ces derniers passent en douze heures. Le directeur GRH et la qualiticienne lui ont expliqué que c’était bien pour eux, très bien pour le budget de l’hôpital et surtout, que les soignants le demandaient même si leurs syndicats étaient opposés à une telle mesure. Ce fut pour lui encore une erreur des penseurs en euros. Il reste, en effet, persuadé que les panseurs doivent soigner avec leur cœur, leur âme et pour se faire leur temps de travail continu doit être limité. Qui plus est, il ne faut surtout pas rentrer dans une logique de production…ce qui hélas arriva à l’étape suivante. Ainsi les fiches de postes soignants sont apparues avec des techniques d’automatisation des tâches avec un temps imparti pour leur réalisation. Pour Monsieur le Directeur même Taylor, même Ford n’auraient pas fait mieux pour organiser un travail à la chaîne enrubanné d’une commission Qualité de Vie au Travail avec la « Norme Iso NF 1214 et des brouettes du malheur » pour laquelle un nouvel ingénieur a dû être recruté.
À chaque embauche d’un technico-gestico-administratif il devait se séparer d’une ligne entière de soignants…et les patients continuaient d’affluer toujours plus vieux, plus pauvres et plus malades.
Dans les différentes instances à l’intérieur de son établissement comme en région sa gestion trop humaine a commencé à être critiqué en public. Puis une mission d’appui par un cabinet d’audit a dénoncé une gestion en bon père de famille et une résistance incompatible avec ses fonctions de direction. On a même dit qu’il avait la rage de l’hôpital public.
Puis les tutelles ont convoqué Monsieur le directeur de l’Hôpital de la Bienveillance pour lui notifier qu’il n’était plus « Bercycompatible », qu’il ne répondait plus aux critères qualité définis par l’école de Rennes et surtout que la DSM des patients de son établissement de soins était trop longue de 4 minutes. Malgré un traitement comprenant plusieurs chimiothérapies, une lobectomie partielle il restait toujours réfractaire…voire opposant-enragé.
Le grand centre de gestion l’a convoqué pour une ultime rencontre. D’emblée, l’annonce de son inaptitude à gérer un établissement de soin lui a été notifiée avec une mise à pied immédiate. 
Pour services (à ne pas confondre avec sévices) rendus un dernier cabinet d’audit managérial avait été diligenté et rendit les conclusions suivantes. Il avait ainsi le grand choix de la fonction publique entre :
- un poste de responsable d’une mission d’audit sur la normalité des normes hospitalières pour 6 mois suivi d’une retraite anticipée à taux plein majoré de « quarante douze » pour cent, 
- un poste de directeur honoraire au placard pour la tutelle de l’inter région « Haut-de-Petit-Est-Sud-Bretagne-OcciNA »,
- et en sous-option un poste de directeur dans un grand parc national.
 
Il me prit la main et me dit « ne te résignes jamais, si tu t’indignes fais-le avec intelligence. Ne t’arrête jamais et même si tu le fais avance encore ! »
 
« Le système va vouloir t’isoler, vous diviser mais ce sont les soignants qui font vivre l’hôpital. Ce sont les docteurs qui vont venir les patients et les soignants qui dispensent des soins de qualité. L’hôpital c’est vous les panseurs ! Merci de porter mon message car vous devez garder la tête haute, les mains libres, le cœur serein…Ils ont brûlé l’Hôpital de la Bienveillance mais Max, ses sœurs et ses frères veillent encore et toujours.
Nous directeurs nous sommes là pour vous donner les conditions de travail et de vie au travail qui doivent vous permettre d’être les meilleurs dans un respect mutuel. Pour que l’hôpital public puisse continuer à exercer toutes ses missions, d’ailleurs de plus en plus nombreuses, nous devons faire éclater la vérité pour libérer les forces vives du pays. Je te donne le vaccin.»
 
Avenir Hospitalier et Action Praticiens Hopital transmettent le code du vaccin à tous les médecins hospitaliers pour un juste soin dans un parcours de soins construit et coordonné entre la ville et l’hôpital. Pour que cesse la souffrance au travail et que la qualité soit de nouveau un fer de lance de l’hôpital public.
 
Jean-François Cibien - Secrétaire général d’AH