Paul Michel Mertès raconte l’histoire de« Dis doc, t’as ton doc »

Catégorie : Détail de la revue AH9
Publié le jeudi 15 février 2018 20:28
Paul-Michel Mertès a été le compagnon de route de Max Doppia durant la création et la diffusion de la campagne « Dis doc t’as ton doc ? ». Il revient, avec la rédaction d’Avenir Hospitalier, sur les débuts de cette aventure nécessaire, qui à ce jour est une véritable réussite puisque la campagne a été reprise par la World Federation of Societies of anesthesiology, soit 135 pays membres et sa diffusion se fait au-delà des seuls anesthésistes.
 
Avenir Hospitalier : N’est-ce pas rompre un tabou que de proposer aux médecins de faire prendre en charge le suivi de leur propre santé de façon « banale et ordinaire », comme n’importe quel citoyen ? 
 
Paul-Michel Mertès : Effectivement, je crois que c’est rompre un tabou puisque le suivi des médecins est actuellement peu développé et assez irrégulier. L’auto­diagnostic et l’automédication sont très souvent la source de retards de diagnostic ou de prise en charge. Il s’agit plus de faire prendre conscience aux médecins qu’ils méritent pleinement de bénéficier du système qu’ils souhaitent pour leurs propres patients. Tous les médecins sont très attachés à ce que leurs patients aient un dépistage et un suivi régulier de leurs facteurs de risques et en fait ils échappent grandement à ce système. Donc nous devons changer cela. Quand vous dites « banale » ou « ordinaire », je crois que c’est plus compliqué que ça. Prendre en charge des soignants, nécessite un entraînement un peu particulier. C’est probablement plus difficile d’assurer la prise en charge de médecins. Il y a beaucoup d’initiatives de mise en place de centres de soins pour lesquels il y a une expérience de prise en charge de personnels médicaux, je crois que ça va se développer et cela doit être encouragé. 
Endormir un anesthésiste, ce n’est pas si évident que ça. Quand vous vous adressez à un personnel de santé, la prise en charge nécessite une approche particulière car il entend ce que vous dites d’une manière différente : conscience du pronostic, conscience des effets secondaires. Nous sommes face à des « sachants » donc ce n’est pas complètement banal. 
 
"Quand on s’adresse à un personnel de santé, la prise en charge nécessite une approche particulière car il entend ce que vous dites d’une manière différente du patient lambda."
 
Avenir Hospitalier : Quel chemin le CFAR, un Collège de médecins spécialistes , a-t-il suivi pour promouvoir une telle campagne, « Dis doc, t’as ton doc », qui s’adresse à tous les médecins, toutes pratiques, toutes spécialités, tous horizons ? Et se trouver légitime pour le faire ?
 
Paul-Michel Mertès : C’est un chemin qui a été assez long. Il y a d’abord une prise de conscience de la réalité à travers la prise en charge des risques psychosociaux. Le groupe SMART au CFAR est né suite à une vague de suicides en anesthésie. On a alors commencé à s’intéresser aux problèmes psychosociaux, et là, nous nous sommes retrouvés face à d'autres groupes très actifs dans un certain nombre de congrès, de réunions. Nous avons essayé de développer notre connaissance du problème en rencontrant des groupes internationaux qui ont les mêmes préoccupations (Allemagne, Angleterre, Canada...). Une première action a « débordé » de l’anesthésie-
réanimation lorsque les numéros verts qui s’adressent à tous les professionnels, y compris paramédicaux ont été mis en place. Au fil des discussions, il était évident qu’il fallait promouvoir la prise en charge médicale des anesthésistes-
réanimateurs mais se limiter à ce champ là n’avait pas de sens. C’est un problème collectif, nous avons ainsi choisi de pas limiter notre campagne et donc de l’élargir. 
 
" On ne peut pas empêcher l’automédication ou l’autodiagnostic mais il faut en connaître les limites ! "
 
Avenir Hospitalier : Non seulement cette campagne a reçu l’appui de très nombreux partenaires dans l’Hexagone, du Ministère de la Santé, des syndicats, des mutuelles, des medias, mais elle est aussi soutenue internationalement, dans toute l’Europe, et au-delà, jusqu’en Amérique du Nord. La prise en charge de leur propre santé par un autre médecin que soi-même ne serait donc pas un problème franco-français ?
 
Paul-Michel Mertès : Au congrès de l’EAPH, l’Association pour la Santé des Médecins Européenne, nous avons rencontré pas mal de monde, nous avons compris que l’anesthésie-réanimation n’était pas la seule spécialité à avoir des difficultés. Nous avons bien vu qu’il y avait des initiatives dans d’autres pays avec des degrés variables de développement. Nous avons constaté qu’en France peu de choses étaient structurées. Nous devions prendre part au développement de la prise de conscience et donc non, ce n’est pas un problème franco- français. Comme je le disais plus haut c’est un problème collectif que l’on retrouve au-delà des frontières françaises ou européennes. Sur le site de SMART on peut voir que beaucoup de pays ont des organisations très développées au Canada, en Angleterre dans les pays Scandinaves. Leur structuration de la problématique est plus avancée. Nous sommes donc rentrés en contact avec eux et ils nous ont confirmé que la campagne « Dis doc t’as ton doc ? » était très bien faite, en deux mots : simple et généraliste. Pour eux, elle permettait de sortir des « petits circuits » entre professionnels pour se rapprocher d’un modèle général, ils avaient déjà, pour leurs préoccupations, des prises en charge particulières pour les médecins mais ils ont souscrit à cette campagne saluée pour sa simplicité. Elle doit être relayée afin que les choses puissent enfin se structure petit à petit. 
 
Avenir Hospitalier : À quel terme voyez-vous intervenir ce changement culturel d’un médecin traitant pour chaque médecin, afin que les pratiques très répandues d’autodiagnostic et d’automédication soient en voie de disparition ?
 
Paul-Michel Mertès : On ne peut pas empêcher l’automédication ou l’autodiagnostic. En revanche, il faut en connaître les limites, on n’affronte pas seul un sevrage tabagique par exemple ! 
Lorsque l’on s’écarte des circuits habituels de prise en charge, on ne tire pas le bénéfice de ces circuits. Nous conseillons à nos patients de se faire suivre pour le cholestérol, pour la tension ou de se faire aider pour le sevrage tabagique, alors il semble logique que nous fassions la même chose. Il est vrai cependant que, quand vous prenez conscience d’une pathologie vous allez trouver un spécialiste plus facilement qu’autrui mais souvent avec un peu de retard. Nous ne pouvons pas être le meilleur juge quant à notre santé en termes de médecine préventive, donc un changement culturel est à opérer évidemment ! 
 
Saveria Sargentini, journaliste
 

Et ailleurs ?

Le Programme d’Aide aux Médecins du Québec (PAMQ) : le pionnier. 
 
Cet organisme autonome, à but non lucratif a été créé en 1991. Il avait initialement vocation à aider les praticiens victimes de comportements addictifs. Très rapidement, les responsables du PAMQ ont observé une stabilisation des demandes pour ce motif et une explosion des consultations pour atteinte à la santé mentale. 
Le programme s’adresse : 
- à tous les médecins, généralistes ou spécialistes, internes et étudiants (es); 
- à tous les collègues, organismes et établissements qui veulent venir en aide à un médecin éprouvant des difficultés personnelles.
Sa principale mission est de venir en aide au demandeur, dans le plus grand respect de la confidentialité et gratuitement. Une équipe de huit médecins conseils assure une permanence téléphonique et répond aux appels de détresse de leurs confrères en respectant leur anonymat. Selon la nature du problème, les appelants sont dirigés vers des médecins, psychiatres, thérapeutes mais également des comptables ou des juristes. Les familles des médecins peuvent aussi appeler sur sa ligne dédiée.
 
Le Programme d’Attention Intégrale au Médecin Malade (PAIMM) : la référence
 
Créé en 1998 par le Collège des Médecins et le Ministère de la Santé du Gouvernement de Catalogne, le Programme d’Attention Intégrale au Médecin Malade est aujourd’hui devenu une référence en Europe. Il est géré par la Fondation Galatea du Collège des Médecins de Catalogne. Les prises en charge sont essentiellement orientées vers les troubles psychologiques sévères et les conduites addictives. Le Code de Déontologie catalan prévoit que tout médecin qui constate une défaillance liée à l’état de santé d’un confrère susceptible de porter un risque pour la sécurité des patients doit se rapprocher du médecin malade pour lui recommander de consulter ou de contacter le programme. La prise en charge est anonyme et totalement gratuite. A Barcelone, avec le soutien de plusieurs partenaires, le PAIMM dispose, grâce à la Fondation Galatea, d’une unité de soins réservée aux personnels de santé. Des prises en charge y sont proposées, soit en ambulatoire, soit en hôpital de jour ou en hospitalisation classique. Un tuteur peut être désigné, soit un collègue, soit un supérieur hiérarchique, toujours avec l’accord du médecin traité. Le PAIMM est respectivement financé à 80 % par le gouvernement de Catalogne et à 20 % par les quatre ordres professionnels catalans. 
 
Re-Med : réseau de soutien pour médecins le connecté
 
Après une phase pilote, le projet Re-Med a vu le jour en 2007. Il répond aux attentes des médecins de tout le pays qui peuvent à présent consulter le site internet www.swiss-remed.ch et s’adresser à un service d’assistance téléphonique en français, allemand et italien. Re-Med propose un accompagnement pour surmonter la crise (manque de motivation, stress, surmenage, syndrome d’épuisement (burn out), dépression, dépendance, traumatismes secondaires, idées suicidaires) et analyser les événements qui se sont produits lors d’un accident médical. Lors de la demande de contact, un membre de la direction médicale du projet réagit dans les 72 heures et examine la situation et les démarches possibles avec le médecin concerné. Ensuite, Re-Med réfère le médecin concerné à un spécialiste choisi parmi l’offre de la région en question. En cas d’urgence ou de crise aiguë, le médecin concerné contacte le service local des urgences.