Les journées formation Action Praticiens Hopital (APH) du 12 au 14 juin 2017

Catégorie : Détail de la revue AH8
Publié le jeudi 5 octobre 2017 10:15
Les clés de l’exercice des PH à l’hôpital public sont l’autonomie et l’indépendance professionnelle, face aux pressions politiques, sociétales, économiques, institutionnelles, qu’ils subissent. Il s’agissait lors de ces journées, d’examiner comment il est possible d’exercer son métier et sous quel statut.
 

Autonomie médicale : pourquoi et comment la défendre ? 

(D’après les propos de Frédéric Pierru)
 
La définition précise de l’autonomie professionnelle et le degré effectif d’autonomie des médecins demeurent encore l’objet de débats intenses. Ce sont les professions « hyperpuissantes » qui défendent toujours l’autonomie professionnelle, alors que celle‐ci est de plus en plus attaquée. Il est donc nécessaire de décortiquer les enjeux sous‐jacents, afin de ne pas défendre cette autonomie de manière corporatiste. Le contenu du travail n’est pas suffisamment pris en compte, alors que c’est de là qu’il conviendrait de repartir. L’autonomie professionnelle est nécessaire à la qualité des soins, mais il s’agit de trouver le bon chemin de crête. 
 
De la célébration à la contestation de la forme professionnelle 
 
Historiquement les professions médicales se sont définies autour de 3 axes : 
- le monopole d’une activité (marché de travail fermé), 
- l’autonomie (relation entre dimension clinique et socio-économique)
- l’autorégulation. 
 
Cela a permis l’émergence de valeurs telles que l’altruisme, le dévouement et l’excellence morale. Toutefois, des biais ont émergé tels que variations de pratiques, apparition d’intérêts économiques, conflits de chapelles, faiblesse de l’auto‐régulation. De ce fait, les attaques sous l’angle du corporatisme ne se sont pas faites attendre...
 
Ainsi, depuis la célébration de la forme professionnelle, l’évolution s’est faite vers sa contestation, et la critique politique et gestionnaire de ses privilèges. Des discours de déprofessionalisation apparaissent. 
 
Les professions, et donc l’autonomie professionnelle, associent 3 dimensions : 
 
Apparaît également une élite gestionnaire via les pôles, établissant une interface avec les autres médecins, qui filtre et retraduit pour les autres médecins les injonctions extérieures. Mais ces « élites  » médicales restent au sein de standards définis par la profession, il s’agit donc de transferts d’autonomie au sein de la profession. 
 
 
La prophétie ancienne de déprofessionnalisation et de prolétarisation de la médecine se voit mise en musique progressivement, du fait de la croissance des coûts et de la montée en puissance du pouvoir des payeurs, de la rationalisation et de l’industrialisation des soins par les gestionnaires. Comment ? Par l’intégration des médecins à de grandes organisations bureaucratiques, via la technicisation et à la spécialisation qui fragmentent et affaiblissent le corps professionnel. 
 
La pléthore médicale, l’émancipation des patients et la perte de confiance du public conduisent à la banalisation de la médecine qui est devenue un bien de consommation.
 
Les professionnels du soin vulnérables face à la logique réformatrice
 
Sans « alliés » au sein du champ médical, la rationnalisation gestionnaire aurait du mal à se déployer à l’hôpital. Les réformateurs se jouent des divisions internes au monde médical qui s’approfondissent avec la croissance démographique de la profession, la diversification du recrutement social et « genré », l’hétérogénéité grandissante des modes d’exercice, des statuts et des revenus, etc. 
 
En 2010, dans son enquête, Nicolas Belorgey l’a bien montré. Il distingue sociologiquement  2  types de rapports aux réformes: 
 
Après ces explications sur la position de la hiérarchie sociale, on peut envisager une hypothèse complémentaire : les affinités électives entre certaines spécialités, et la logique industrielle‐manageriale.
 
La notion d’« affinités électives » permet de mettre en évidence que certaines pratiques ou spécialités médicales, très médicalisées, se trouvent « élues » par l’esprit gestionnaire, tandis que d’autres sont « déphasées » et « entravées » par les réformes. 
 
André Grimaldi en distinguant les 3 types de prise en charge (les maladies bénignes, celles nécessitant des soins techniques hautement spécialisés et les maladies chroniques) distingue ainsi 3 types de médecine qui ne sont pas valorisées de la même manière. 
 
La médecine, une profession à pratique prudentielle 
 
En reprenant ce concept de pratique prudentielle adaptée à la médecine, on distingue ainsi plusieurs types de spécialités de degrés inégaux. La pratique prudentielle est liée à la singularité des cas auxquels les médecins sont confrontés, ce qui renvoie à la singularité du matériau humain sur lequel le travail porte ; à la complexité des situations sur lesquelles les professionnels travaillent (dimensions cliniques, techniques, sociales, économiques, éthiques...) et les valeurs à hiérarchiser, à intégrer dans la décision. Singularité et complexité sont des sources d’incertitudes. Par conséquent, une part du travail professionnel (la plus autonome) ne consiste pas à appliquer mécaniquement un savoir scientifique : « face à des problèmes singuliers et complexes, les professionnels prennent des décisions qui comportent une part de délibération et même de pari : le travail professionnel est conjecturel, parce qu’il porte sur une réalité qui échappe inévitablement à toute maîtrise systématique. » (Champy, 2009:84-85). 
 
Le savoir professionnel est un mode de connaissance qui est en partie non scientifique, qui suppose la délibération et qui comporte une part de contingence, résistante aux formes de contrôle et de standardisation gestionnaires. 
 
Revaloriser le caractère prudentiel de la pratique médicale, c’est revaloriser son autonomie
 
C’est dire que « Le médecin est à la fois un scientifique, un artisan et un artiste ». Les conflits autour des réformes ne sont pas réductibles à un jeu de pouvoir à somme nulle entre médecins et gestionnaires. La quantification excessive de la pratique (abus des indicateurs), la normalisation excessive de la pratique (application mécanique des protocoles et des « recommandations de bonne pratique »), les impératifs de productivité comme entrave à la prudence (la réflexion et la délibération, donc le temps, sont indispensables), la fragmentation excessive des prises en charge médicales et l’affaiblissement de la collégialité et des modes de coordination informels des différents professionnels (collectif soignant), sont autant d’entraves à une pratique prudentielle, à l’autonomie de la profession médicale, et sont susceptibles de dégrader la qualité des soins. 
 
Il faut donc défendre la prudence plus que l’autonomie qui recouvre des termes trop confus et dévoyés, et pour la défendre il existe plusieurs répertoires : le répertoire professionnel classique, éthique, politique, et intellectuel. 
 

Le choix historique d’un statut spécifique plutôt que fonctionnaire

Richard Torrielli

1984 est une date charnière dans l’histoire du syndicalisme médical et dans la vie des médecins hospitaliers. Sous l’impulsion majeure des anesthésistes réanimateurs et de leur organisation syndicale, sort le 24 février le décret 84-131 portant statut des praticiens hospitaliers. Dans la foulée est créé le SNPHAR, héritier direct du syndicat, qui, sous différentes appellations successives, avait lutté pour son obtention...
 
  • Avant 1984... 
Jadis l’anesthésiste fut apatride, il squattait les lieux de soins, muni d’un permis-de-travail-statut provisoire. Son état d’être-humain-médecin comme les autres n’était pas connu-reconnu de tous. Collègues méprisants, public ignorant, administration négligente. Et pourtant les tâches ingrates auxquelles il se livrait s’avéraient non seulement nécessaires, mais souvent vitales.
Bien sûr, nous parlons d’un temps révolu que seuls les papi-boomers comme moi ont pu connaître.
Cet état de fait ne pouvait que susciter révolte et mobilisation. 
À l’origine, une organisation syndicale naît en 1970. Elle prendra, au fil des aléas législatifs, différentes appellations et aura pour objectif prioritaire, l’élaboration d’un statut hospitalier permanent pour l’ensemble des disciplines et des hôpitaux. Ce programme se développera et s’enrichira  en fonction de la réflexion collégiale, des circonstances, de l’évolution médicale et de l’organisation hospitalière. Mais il restera sous tendu par les objectifs fondamentaux de défense de la discipline et de son attractivité, de protection de la dignité des praticiens et de qualité des soins. 
En 1984, un statut commun à tous les PH, dote la spécialité de ses lettres de noblesse et établit à la fois l’égalité entre tous les médecins et toutes les spécialités, et l’identité de chacun.
 
  • Pouvait-on faire autrement ? 
Avait-on le choix entre statut et « fonction publique »? Le choix statutaire fut une nécessité structurelle ET conjoncturelle. Depuis des années, le Cadre Hospitalier Temporaire, réservé aux anesthésistes réanimateurs et aux hémobiologistes, était déjà un statut, mais provisoire, et qui était spécifique aux CHU. À côté d’eux, les « bi-appartenant », dépendant de la fonction publique hospitalière et recevant ainsi salaire au titre de l’enseignement supérieur, percevaient des « indemnités » pour leur activité clinique à l’hôpital. La seule organisation favorable à l’assimilation de tous les médecins des CHU à la position de bi-appartenant était le SNESUP (Syndicat national de l’enseignement supérieur), très marqué politiquement, et peu représenté dans le secteur santé. L’ensemble des bi-appartenant était opposé à cette solution.
Enfin, les médecins des hôpitaux dits « généraux », bénéficiaient déjà d’un statut spécifique qui, bien que très critiquable, pouvait servir de repère à la création d’un statut des « mono-appartenants ». La solution fut donc d’écrire un statut des mono-appartenants, applicable aux médecins, chirurgiens, biologistes et pharmaciens de TOUS les établissements hospitaliers, CHU et non CHU.
Dans le même temps les bi-appartenant devenaient les PUPH, et une certaine harmonisation régnait...
 
  • Après 1984, le combat continue...
Muni dès 1984 de ce passeport statutaire les anesthésistes réanimateurs ont pu marquer clairement les frontières de leur territoire traditionnel et partir à la conquête de nouveaux espaces. 
Procédant à la fois pied à pied pour la défense de ses mandants, et explorant toutes les directions offertes à l’action au sein des hôpitaux publics et de la santé en général, le SNPHAR est devenu une force de réflexion, de proposition et d’action incontournable. Son action fut parfois en phase et en accord avec celle d’autres organisations, parfois isolée au sein d’une intersyndicale qu’il devait quitter pour fonder AH. 
 
  • 1994 : sortie du décret « sécurité » qui oblige à des normes en consultations, équipements et salles de réveils en anesthésie réanimation. 
    Le repos de sécurité : concept inventé par le SNPHAR pour préserver la qualité des soins de l’incidence des fatigues de la garde.
    La fonction de garde, revendication historique des PH : négociations rudes et obstinées  sur plus de 20 ans et soutenues par des  mouvements de grève pour l’intégration de la garde et des déplacements en astreinte dans le temps de travail. 
  • 2000 : prime d’engagement de service public exclusif compensant le défaut d’activité privée hospitalière, prime et contrat pour postes difficiles à pourvoir, prime multi-établissements, revalorisation du 1er échelon niveau 4 et carrière linéaire sur 24 ans en 13 échelons sans quotas.
  • 2001 : la loi sur les 35 heures hebdomadaires appliquée dans les hôpitaux conduit à des négociations longues et laborieuses sur l’ARTT, le CET, le TTA, les RTT, la DE des 48 h hebdomadaires.
  • 2009 : L’élargissement du SNPHAR, sa transformation en SNPHAR élargi (SNPHARe) a obéi à une logique : assumer la ligne de conduite constante, aujourd’hui partagée par APH,  à savoir défendre sans distinction l’ensemble des PH et l’Hôpital Public, et continuer à faire profiter tous et chacun, toutes spécialités et statuts confondus, des avancées statutaires, réglementaires, législatives, et de protection sociale
  • En 2017: Le statut de PH de 1984 reste un socle sur lequel s’appuient les réflexions, propositions et actions de chacun de nous. Mais il est affaibli au fil des nécessités conjoncturelles et des idéologies au pouvoir, par la création d’autres statuts, comme celui des cliniciens hospitaliers, et par les positions managériales parfois inadaptées de  certaines directions hospitalières sous la pression d’impératifs financiers et productivistes qui favorise la précarité et l’absence d’attractivité. Le statut est critiqué d’un côté pour sa rigidité, son obsolescence, son inadaptation aux nécessités de l’époque, d’un autre pour les privilèges qu’il confère. Il reste un repère pour son éventuelle refonte, ou son remplacement par une structure encore indéfinie.