« Architecture Hospitalière : un monde complexe et passionnant » - L’interview de Gérald Berry »

Catégorie : Détail de la revue AH8
Publié le jeudi 5 octobre 2017 10:01
 
La rénovation du parc hospitalier français a connu un boom depuis 15 ans sous l’impulsion des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 qui ont permis son financement à hauteur de 50% par l’Etat. Avenir Hospitalier a voulu en savoir plus sur les acteurs de cette rénovation. Qu’est-ce qui les motive ? Comment travaillent-ils ? Gérald Berry, directeur du Pôle Santé chez Chabanne-architecte a accepté de répondre à nos questions. 
 
Avenir Hospitalier : En quoi le monde de la santé est-il intéressant pour un architecte ? Qu’est-ce qui pousse un architecte à se spécialiser en architecture hospitalière ? 
 
Gérald Berry : Le monde de la santé est intéressant car de forte complexité, tant sur le plan technique que fonctionnel. De plus, en architecture, le monde de la santé a une utilité sociétale, c’est un équipement qui est indispensable pour les collectivités. Enfin, au niveau de la ville, de l’urbain, les projets hospitaliers sont souvent des projets importants en termes d’image, de taille. Ce sont des marqueurs urbains qui imprègnent de leur présence, les villes et les centres villes. D’ailleurs, les GHT participent au développement des territoires péri urbains. 
C’est la complexité qui nous pousse encore une fois… les projets sont de véritables challenges. Ce sont souvent des grands puzzles en 3D, où sont mixés différentes spécialités, avec des intervenants très différents contrairement à d’autres projets de bâtiments publics ou une seule activité est concentrée. Les programmes sont très divers aussi. On peut travailler sur des bâtiments d’hospitalisation purs, des bâtiments de plateaux techniques, d’urgences, des maternités, de cancérologie... Les programmes santé ont différentes facettes et de ce fait sont passionnants. 
 
AH : Avez-vous noté des évolutions notables dans les cahiers des charges ces dernières années : pour les patients et les professionnels ?
 
Gérald Berry : Je m’occupe de projets hospitaliers depuis une quinzaine d’années et on note un développement de l’ambulatoire. On sent qu’il y a une volonté de réduire le temps de séjour pour essayer de faire des actes à la journée. Ce qui frappe le plus aujourd’hui c’est le développement des hôpitaux de jour en lien direct avec les blocs opératoires, pour que le parcours du patient soit rapide entre l’accueil, l’opération et le retour à la ville, et également la mutualisation des services, la flexibilité au niveau du nombre de lits. 
AH : En fait, on sait que les échanges interpersonnels (espaces temps et espaces lieux) se sont trouvés réduits depuis une quinzaine d’années. C’est certainement l’une des causes majeures de souffrance professionnelle constatée aujourd’hui. La réduction des espaces d’échanges entre professionnels pourrait en partie l’expliquer : quelles marges de manoeuvre pour vous, architectes ?
Gérald Berry : Nous travaillons essentiellement sur des marchés publics, donc sur des hôpitaux publics et nous répondons à des programmes où les espaces nous sont imposés. On sent très bien qu’il y a une diminution des espaces de réunion, de détente dans les différents services. Nous savons que les professionnels de santé ont des métiers compliqués, qu’ils font beaucoup d’heures dans un milieu de souffrances et que leurs conditions de travail sont difficiles. 
Nous essayons d’optimiser au mieux les espaces afin d'aménager un bout de terrasse par exemple, pour permettre au personnel de prendre une pause. Nous essayons d’imaginer des salles de réunion pour discuter en petit groupe à propos de la vie de l‘hôpital, des patients, des problèmes personnels. Il est très important d’échanger au sein d’une structure hospitalière. Les personnels travaillent en horaires décalés, il y a beaucoup de turn-over dans les hôpitaux donc eux, encore plus que les autres, ont besoin de pouvoir communiquer. Nous faisons également très attention à l’accès à la lumière naturelle.
 
AH : Justement, la problématique de l’accès visuel à l’extérieur, pour les patients comme pour les soignants, voire même simplement à la lumière du jour, ne semble pas être la priorité des conceptions architecturales hospitalières...
 
Gérald Berry : Nous faisons en sorte d’amener la lumière dans l’ensemble des espaces au-delà même de la réglementation du travail qui l’impose, car c’est un véritable plus pour les personnels. La lumière naturelle pour l’ensemble des postes de travail est déjà imposée ce qui est normal mais nous cherchons toujours les meilleures orientations, pour éclairer les espaces de circulations et les paliers d'arrivées aux étages par exemple. Arriver dans un espace noir ce n’est vraiment pas agréable. 
Il y a beaucoup de contraintes, des surfaces à tenir, des budgets et des ratios… mais nous savons que les programmistes eux aussi font face à ces limites. La lumière du jour est évidemment importante, pour les personnels, pour la circulation qui structure le bâtiment et également pour les patients. 
Pour les gros projets hospitaliers, les positionnements doivent être stratégiques. Il est très important de faire en sorte que les personnels et patients/résidents gardent le contact. Il est primordial que le patient soit rassuré par la présence des personnels, et donc que tout soit mis en œuvre pour qu’il y ai toujours une proximité des lieux et des personnes. 
Pour surveiller les résidents dans les EPHAD, la proximité visuelle entre les espaces est essentielle. Les personnels doivent être à des endroits stratégiques, les entrées et sorties par exemple. La centralité de certains espaces des ensembles de soins, des espaces dits « de jour », parcourus à la fois par les personnels et les patients ou résidents est également très importante. 
 
Les hospitaliers doivent être au cœur du projet de l’hôpital car ce sont eux qui y vivront pendant 30, 40 ans !
 
AH : Quelle place les hospitaliers devraient-ils prendre selon vous dans la conception d’un hôpital ? Après tout, ce sont eux qui vont y passer le plus de temps ? 
 
Gérald Berry : Ils doivent être au cœur du projet ! Nous concevons des projets mais ce sont eux qui vivent dedans pendant 30-40 ans, ils y passent leurs nuits, leurs journées et nous en sommes bien conscients... D’ailleurs actuellement les projets sont mis au point avec les services hospitaliers. Lorsqu’un centre hospitalier lance un concours pour un nouvel hôpital, il établit un cahier des charges avec des professionnels qu’on appelle des programmistes qui eux, font un schéma directeur avec les cadres de soins et la direction de l’hôpital et montent un programme. Les professionnels hospitaliers sont donc très présents dans l’élaboration du programme qui peut durer jusqu’à deux ans. Ensuite lorsque le concours d’architecture est lancé, les cadres hospitaliers font partie du jury. Ils ont donc clairement leur mot à dire !
L’élaboration des projets se fait sous procédure de dialogue. Ils peuvent faire part de leurs remarques, de leurs attentes, et nous continuons avec eux sur la progression avec des simulations informatiques, des chambres témoins. Nous faisons du sur mesure avec eux.
Propos recuillis par Saveria Sargentini, journaliste