Numerus Clausus : histoire d'une réforme dévoyée puis contre-productive

Catégorie : Détail de la revue AH6
Publié le lundi 12 décembre 2016 12:44
 
Le Numerus Clausus (NC) fut créé en 1971 (à plus de 8000 par an jusqu'en 1978), puis utilisé comme un objectif à abattre par les ministres qui se sont succédés jusque dans les années 90. Après un nadir à 3500, il a ré-augmenté pour atteindre environ 8000 par an. Ou comment le principe de réalité est si loin des préoccupations de ceux qui nous gouvernent...
 

L'histoire et ses raisons

Jusqu'en 1971, le nombre de médecins formés était basé sur le volontariat doublé d'un contrôle des connaissances par examen. Ce système est encore en vigueur dans la plupart des pays développés, dont l'Allemagne, qui consacre la même part de son PIB que la France à son système de santé. Le numerus clausus a été instauré à la demande des médecins qui voulaient limiter la concurrence, mais le chiffre initial de 8000 par an qui était suffisant à cette époque, a été diminué par les gouvernements successifs de tous bords, avec une vision bien libérale de l'offre de soins : si vous supprimez les vendeurs de voitures, vous n'aurez plus de dépenses automobiles, de même si vous supprimez les médecins, il n'y aura plus de malades consommateurs. C'est énarquement imparable... On arrive ainsi à 3500 étudiants en PCEM2 de 1993 à 1998, auxquels il faut retrancher en moyenne 10 % qui ne finissent jamais leurs études (décès, abandons, échecs).
Cette période a vu également se succéder des attaques répétées contre le pouvoir médical dans les hôpitaux, confié aux administratifs avec le succès que l'on sait, aussi bien en termes de santé publique (n°1 des systèmes de santé du monde en 2000, 11° aujourd'hui), que financier (dernier exercice excédentaire de la Sécu : 2001).
En 1998, le ministre de la santé demande un audit sur le nombre nécessaire de médecins, faisant apparaître en creux l'incurie invraisemblable des trente années précédentes en termes de pilotage. La réponse est qu'en dessous de 8000, le pays court à la crise. Le NC est alors très progressivement remonté jusqu'à ce chiffre, limité officiellement par les conditions d'accueil des étudiants...
 

Aujourd'hui

Désormais, la crise est patente : pendant ces années de creux démographique, les importations de médecins étrangers ont pris un rythme inédit, conduisant à la fois à une spoliation des ressources de pays en voie de développement qui en auraient eu besoin bien plus que nous, alors que ces médecins n'arrivent pas au même niveau de formation initiale que ceux qui sortent de nos facultés, et à la frustration de milliers d'étudiants français qui obtiennent pourtant un excellent niveau, mais n’atteignent pas la « barre » fatidique.
 

La démographie reste dramatiquement déficitaire face à l'accroissement et au vieillissement de la population française :

le nombre de malades chroniques explose et exige une prise en charge permettant de répondre aux promesses d'une transition démographique heureuse.
Et lorsqu'on a diminué le nombre de médecins en USLD (pour diminuer la « DMS », c'est-à-dire... l'espérance de vie!), qu'on arrive à 30 % de postes vacants chez les Praticiens hospitaliers, que le secteur libéral n'assure plus les urgences la nuit, et que les urgentistes hospitaliers sont en nombre gravement insuffisant, que faut-il faire ?
Le gouvernement a fait voter l'interdiction de conventionnement dans des lieux considérés comme riches en médecins (en fait les moins pauvres : on ne voit pas encore de médecin désœuvré...), ce qui revient à une interdiction d'installation en dehors du remplacement d'un collègue partant à la retraite.
Forcer les médecins à s'installer dans les déserts médicaux où il n'y a plus ni école, ni transports en commun, ni Poste, ni service public, ni d'ailleurs aucun magasin ? Et là où ils seront « prélevés » comment fera-t-on ? Il y a désormais des déserts même en proche banlieue parisienne !
 
Le bon sens voudrait surtout qu'on remonte le numerus Clausus, non ?
Quand aurons-nous à nouveau des gouvernants capables de prévoir à long terme ? 
 
 
Renaud Péquignot, Secrétaire Général d'AH