AH4 - Un statut, deux systèmes….. mais quelles équipes ?

Catégorie : Détail de la revue AH4
Publié le lundi 29 février 2016 11:24

L’hôpital public est un vecteur de modernisation : des équipes multidisciplinaires et interprofessionnelles coopèrent sur un projet et font émerger de nouvelles solutions. L’objet de cette réflexion est de préciser la place que les dernières évolutions réglementaires (loi de modernisation de la Santé…) réservent à cet espace de coopération où travaillent, ensemble, des équipes de professionnels de l’hôpital public.

Une équipe de soins définie par le partage d’information du patient.

La notion d’équipe est définie dans la Loi de modernisation de la Santé. Le périmètre de celle-ci est défini par le partage de l’information sur le patient pour les soins de celui-ci (L 1110-12 et L 1110 – 4).

L’équipe est une équipe de soins : "Art. L. 1110-12. Pour l'application du présent titre, l'équipe de soins est un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à leur coordination et qui suivent la description des modalités d’exercice. Il s’agit par exemple, d’un établissement de santé ou toute organisation est formalisée avec au moins un professionnel de santé et conforme."

L’équipe de soins partage les informations du patient : « III. - Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins au sens de l'article L. 1110-12, ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Ces informations sont réputées confiées par le patient à l'ensemble de l'équipe. » (L 1110-4).

Ce cadre général d’une équipe de soins se décline ensuite selon que la filière ou le territoire structurent son projet de soins (structuration des parcours de soins – L 1411-11-1 et GHT – projet du décret en CE).
Sont isolées: 

 

Les équipes de soins d’un établissement de santé :

C’est l’organisation polaire. Sa valeur ajoutée pratique en dehors de fonction de gestion reste débattue mais l’application de cette nouvelle gouvernance démontre différentes conditions de réussite pour l’émergence d’équipe de soins : une logique médicale (proposition N° 3), une taille raisonnable (<300 ETP : proposition N°6-10), un dialogue interne maintenu (propositions N°9-10) et la reconnaissance du temps nécessaire à la vie du pôle (proposition N°12) (cf rapport des conférences – Philippe Domy 2014 et rapport « pacte de confiance » Edouard. COUTY – Mai 2013)
 

Les équipes des GHT avec deux entités :

 

Les équipes de soins primaires : 

C’est un ensemble de professionnels constitués autour de médecins généralistes de premier recours sur la base d’un projet de santé (centre d’accueil ou maison de santé) sous contraintes de territoire et de qualité/sécurité.

 

Des fonctions d’appuis :

pour la coordination de soins complexes organisée par l’ARS en  concertation avec les représentants des professionnels et des usagés. Ce sont des  communautés  professionnelles territoriales de santé qui regroupent d’une ou plusieurs équipes de  soins primaires

 

Un nouveau cadre réglementaire qui identifie bien l’équipe

Il s’agit d’une équipe de soins dont la mission principale est la coordination des soignants pour une offre de soins optimale structurée en parcours. C’est l’exécution du projet médical partagé. En revanche, il ne s’agit pas nécessairement d’une équipe engagée dans un travail de coopération pour un projet nouveau la modernisation de l’offre de soins. Dans un tel contexte, les questions pratiques de l’engagement des PH pour de tels projets n’ont pas été traitées réglementairement. C’est avant tout un choix local de gouvernance.

Des systèmes de valorisation du travail qui divisent

 

Des organisations du travail segmentées par les systèmes de décompte du temps de travail

Le décompte originel, statutaire, en demi-journée a des atouts et des limites qui sont bien connus. Le découplage entre les obligations de service et les actes permis par l’absence de définition du temps de travail (seule une borne maximale de 48 heures est donnée par la réglementation européenne) ou de la durée de la demi-journée confère un espace d’autonomie aux professionnels. Cela  représente une opportunité pour la création d’espace de coopération et d’équipes multidisciplinaires. En revanche, ce découpage ne protège pas contre l’intensification du travail et la segmentation de ses modalités, créatrices d’iniquités : travail posté, permanence des soins, activités accessoires, libérales expertises, télémédecine, coopération interprofessionnelles, délégations et pratiques avancées.L’intensification du travail des disciplines dominées par le travail posté clinique fini par disqualifier ces professionnels des activités non-postées ou multidisciplinaires.

 

Tableau : Atouts et limites du décompte originel statutaire, en demi-journée

Forces :

Sécurité statutaire : découple le travail de son coût horaire ou T2A

Faiblesses :

Ne protège pas contre l'intensification du travail clinique, reconnaissance ? Inadapté aux nouvelles modalités de travail.

Opportunités :

Levier de l'autonomie avec une construction collective, espace d'innovation et de coopération.

Menaces :

Inéquité, travail invisible : reconnaissance uniquement interne. Déqualification du temps de décision

 

 

Le temps continu horaire ou l’alternative au décompte historique en demi-journée. 

Il est adapté aux disciplines en activité postée en place des demi-journées. Cependant, ce décompte dédié au travail posté occulte aussi les autres modalités devenues peu lisibles. La circulaire n° DGOS/2014/359 du 22 décembre 2014 relative aux modalités d’organisation du travail applicables dans les structures d’urgences-SAMU-SMUR répond à certaines revendications de ces professionnels. Elle devrait conduire à organiser leurs activités en temps continu et selon un «référentiel urgence » qui distingue le travail clinique posté du reste. Ce  travail est borné par une durée (9 heures hebdomadaires au-delà des obligations de service de 39 h du professionnel) et par un périmètre définit dans le référentiel (annexe de l’instruction (DGOS/RH4/2015/234 du 10 juillet 2015). C’est sur ce temps de travail résiduel qu’un espace de coopération doit s’inscrire. Cependant, ce temps non posté inclus aussi le temps de formation individuel de formation continue (statutairement de 15 jours par an).

Cette organisation pose une double difficulté dans son application actuelle. D’abord sa singularité. Elle n’est accessible qu’aux disciplines qui peuvent fonctionner en temps continu (obstétrique, réanimation, anesthésie). Ensuite, les limites des ressources forfaitisées que le professionnel peut consacrer aux missions non postées et non individuelles.

Par ailleurs, au-delà du décompte horaire, c’est aussi la proposition d’une organisation du travail des disciplines selon leur propre référentiel. Si cette voie était retenue, il apparaît critique de sanctuariser une composante de travail multidisciplinaire et pluri professionnel pour limiter le risque de balkanisation entre disciplines. Le référentiel identifie bien des missions collectives et institutionnelles confiées au praticien mais celles-ci sont dominées par la coordination des soins ou le pilotage de l’activité. De plus, ces missions entrent en concurrence avec les activités individuelles de formation continue et l’amélioration des pratiques des programmes DPC.

Un espace multi-professionnel en gestation

L’équipe de l’espace de coopération est pluridisciplinaire. Elle a aussi vocation à être multi professionnelle. La coopération dont il est alors question n’est pas strictement la coopération définie par l’article 51 de la loi HPST. Pour garantir la qualité des soins cette modalité coordonne une nouvelle organisation du travail entre professionnels sans en changer les différents périmètres de responsabilités.

En revanche, c’est bien la coopération entre professionnels dont il est question lorsque les différentes disciplines médicales concernées et les équipes de sage-femme doivent travailler ensemble pour faire émerger les nouveaux espaces physiologiques de la grossesse (recommandation HAS 2008 : Délégation, transfert, nouveaux métiers…)

 

Alors, comment favoriser les formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé et qu’en est-il des ressources mobilisables pour investir cet espace de coopération ?

Le développement des métiers intermédiaires de santé ne peut pas faire l’économie d’allouer les ressources nécessaires à la construction d’un espace de coopération. Même si ces auxiliaires exerceront dans une équipe de soins, ceux-ci se verraient confiés la pleine responsabilité de leur nouveau domaine d’intervention. Le professionnel agissant dans le cadre de la pratique avancée, il est responsable des actes qu’il réalise dans ce cadre. L’institution d’un nouvel acteur avec un autre partage de responsabilités, impose un travail collectif pour faire émerger de nouvelles façons de travailler ensemble.

De multiples parcours de soins comme ceux qui concernent les disciplines des plateaux techniques avec l’anesthésie ; la chirurgie ou la radiologie, pourraient ainsi être redéfinis. Dans l’état, c’est par voie réglementaire que les activités qui seront redevables d’une pratique avancée seront définies (décret en conseil d’état après avis de l’académie de médecine et représentants des professionnels concernés (L 4301-1). Là encore, si les textes parlent des conditions de formations initiales sanctionnées par un diplôme, ils sont silencieux sur les ressources à mobiliser au sein des équipes pour accompagner le changement.

Le projet médical structure la coopération entre professionnels

L’hôpital public est un formidable espace de coopération professionnelle, vecteur de sa modernisation et de son efficience. Le moteur de cette transformation créatrice, c’est l’équipe multidisciplinaire et pluri professionnelle qui coopère pour un projet médical. Ces expériences passées ont été conduites avant tout par des équipes multidisciplinaires.Avec les pratiques avancées, son extension à une coopération pluri-professionnelle est encore plus d’actualité. De même, une reconfiguration des périmètres de responsabilités entre les professions historiques et les nouvelles qui s’appuient sur des technologies de télédiagnostics ne peut pas faire l’économie d’un espace d’expérimentation où ces différents professionnels travaillent ensemble. Les GHT représentent des opportunités d'innovation mais ces groupements n’ont de sens que si ils sont subordonnés à un projet médical partagé non pas seulement entre les organisations constitutives du groupement, mais entre les professionnels qui en sont les acteurs de soins.

 

Les systèmes de valorisation du travail en demi-journées ou en temps continu, ne sont pas adaptés aux nouveaux espaces de coopération.

Par défaut et pour le PH, c’est toujours du travail en sus de ses obligations de service. Pour les disciplines fortement impliquées dans la permanence des soins ou des plateaux techniques, le travail clinique posté fini alors par dominer les obligations de service. Ensuite, les missions attribuées à certains ne garantissent pas la contribution de la majorité et le plein engagement de tous dans l’exécution des projets collectifs. Cependant, des établissements ont choisi la coopération. Ils ont fait le choix de restaurer un espace de dialogue et d’un partage entre les soignants et fonctions supports d’une stratégie déclinée dans ses différents projets médicaux, de pôles, d’établissement et maintenant de GHT. L’activation de ce premier espace de partage fait le lit d’espaces de coopérations sur des projets fédérateurs pour des équipes de soignants, au-delà des fonctions attendues d’équipe de coordinateurs de soins.

Ces établissements qui ont fait ce choix se retrouvent souvent dans la dénomination anglo-saxonne des hôpitaux magnétiques : « un hôpital où il fait bon travailler en est un où il fait bon se faire soigner » Y brunelle. Prat Organ Soins 2009, 40 : 39-48. La question est de savoir si l’hôpital magnétique est soluble dans le GHT.

Dr Laurent Heyer