Le secret médical, Saint malo, et ... le RESTE

Catégorie : Deontologie
Publié le vendredi 11 octobre 2013 17:48

Depuis l'instauration  dans les établissements de soins du financement à l'activité, le recueil de cette activité  constitue un enjeu de taille pour ces établissements publics et privés, puisque leurs budgets de fonctionnement en dépendent. Diverses stratégies ont été mises en place par les gouvernances locales, allant de la réorientation des activités vers les plus lucratives, à d'autres qui, à force de flirter avec la Loi ou la morale conduisent à s'interroger sur des pratiques déviantes, ce qui les sous tend, et leurs conséquences.

 
Le recueil d'activité est sous la responsabilité de médecins spécialisés dans l'Information Médicale (médecins DIM), dont le rôle est de transformer l'activité en budget via un codage des actes, selon une nomenclature nationale, mais avec des différences d'appréciation qui sont le fait de toutes activité humaine. Ces différences d'appréciation peuvent être aplanies par des dispositifs dits d'optimisation du codage. Certains établissements ont choisi de renforcer leur équipe DIM en interne, leur donnant les moyens de fonctionner. D’autres ont choisi d’externaliser soit toute la fonction de codage, soit seulement l’optimisation de celui-ci à des officines privées.
 
Quelle que soit la solution choisie, nos collègues médecins de l’information, qui subissent de très fortes pressions de leur administration, sont tenus par le Code de Santé Publique (Art R6113-5) au respect du secret médical et à la confidentialité des données qui peuvent sortir de l’hôpital.
 
Dès juin 2011, certains médecins DIM, relayés par notre organisation syndicale et intersyndicale se sont insurgés auprès de la CNIL et du Conseil de l’Ordre, contre les pratiques de certaines officines qui, après contrat avec leur établissement, pratiquent une optimisation du codage au prix de la rupture du secret médical, le re-codage s'effectuant après intrusion dans les dossiers médicaux non anonymisés. Ces officines se payent sur un pourcentage des sommes ainsi récupérées, et versées par l'Assurance Maladie (dans le cadre d’un budget global, l’ONDAM).
 
Cette rupture du secret médical, dénoncée fermement par le Conseil National de l'Ordre, a  hélas perduré jusqu'à ce que la CNIL rende (enfin!) un avis très ferme, et ne décide d'aller visiter les établissements pour vérifier que la confidentialité des données médicales soit bien respectée. Avec au passage un énorme gâchis humain pour les médecins DIM qui, bien que lanceurs d'alerte, n'ont trouvé que leur syndicat pour les défendre. 
 
Cette affaire embarrasse fortement par ses enjeux et ses conséquences : la CNIL qui a mis beaucoup de temps à rendre son avis,  le ministère qui vient de se saisir du dossier et entend le traiter au fond, la communauté des Directeurs d'établissements qui en grand nombre ont recours à ces officines.
 
Nous allons voir que cette affaire  met crûment en lumière les conséquences et les effets pervers, voire déleteres, des réformes de la santé.
 
En effet, la rupture de la confidentialité des données médicales, le harcèlement des médecins DIM vent debout contre leur administration pour faire  respecter le secret médical est la face cachée de l'iceberg, et il est nécessaire de décortiquer ses tenants et aboutissants.
 
La course au plan de retour à l’équilibre des établissements à tout prix. La réforme du financement des hôpitaux les a enfoncés dans des déficits artificiels, les services publics n’ayant pas pour fondement d’être rentables. Pour y parvenir, juger les directeurs et indexer leur carrière sur leur capacité à y arriverest un moyen puissant. Sauf que certains établissements structurellement ou historiquement déficitaires conduisent certains directeurs à des conduites qui peuvent être déviantes, y compris contourner la Loi. Demander à des sociétés privées de fouiller dans les dossiers médicaux pour trouver comment surcoter est une conduite à risque judiciaire. C’est aussi la stratégie du coucou, à savoir prendre aux autres sans souci des conséquences. Dans le cadre d’un budget national global contraint par l’ONDAM, chercher à gagner plus pour son hôpital c’est diminuer ce qui reste pour les autres. Stratégie individuelle de directions acculées à trouver de l’argent à tout prix !
 
Optimisation du codage oui, sur-codage non ! Certains collègues DIM ont pour consigne de fermer les yeux sur des cotations frauduleuses et contraires à leurs bonnes pratiques. Coder sous contrainte en soins palliatifs des patients qui n'en bénéficient aucunement, ou coder sous contrainte en néonatologie tous les enfants de moins de 120 jours quel que soit leur lieu d’hospitalisation, ou coder sous contrainte en infection grave des patients qui ont juste des infections banales, ou coder toutes les appendicites en péritonite, sont de bons exemples de surcodage qui, pratiqués à l’échelle nationale, seraient insupportables à l’Assurance Maladie. On peut d’ailleurs dans cette affaire relever une grande absente, pour l’instant en tout cas : la CNAM. Car enfin, ces pratiques de surcodage, devraient être repérées par les audits de la CNAM. Pourquoi ne le sont-elles pas ? Comment peut-on hospitaliser 97% des enfants en néonatologie sans que ça se voie ? Ou avoir autant de sepsis grave qu’un grand CHU, avec un taux de guérison bien meilleur ? 
 
Le non respect de l’éthique et de la déontologie médicale. Il est intéressant de noter, la rapidité et la fermeté avec laquelle le Conseil de l’Ordre a donné son avis sur les obligations juridiques  du respect du secret médical, alors que d’ordinaire il est peu intéressé par les aspects hospitaliers de la profession.
 
L’indépendance professionnelle des médecins. Notre identité, nos valeurs fondamentales de médecin  qui, pour pouvoir prendre la bonne décision médicale, ne doivent pas être soumis à des pressions contradictoires notamment financières, sont fortement ébranlées par le problème global de la tarification à l’activité seul moyen de mesure de l’activité médicale. En effet, les médecins doivent désormais rentrer dans le cadre fixé comme rentable et subissent des pressions sans fin pour diriger leurs décisions vers le «performant », « l’efficient» et le mieux valorisé financièrement. Les pressions pouvant aller jusqu’à des mises au placard, ou des obligations de changer d’activité professionnelle contre leur volonté. Défendre l’indépendance professionnelle des médecins n’est pas d’une réaction corporatiste, mais bien le reflet d’une construction historique nécessaire, car seule cette indépendance dans les décisions permet aux patients d’être sûrs qu’ils bénéficieront du « juste soin » et pas de celui prescrit par des gestionnaires.
 
La soumission des carrières médicales au bon vouloir du Directeur d’hôpital, et au delà à une gouvernance médico-économique inféodée à ce type de management. De plus en plus certains directeurs abusent des pouvoirs que leur ont conféré les dernières réformes, notamment la réforme de nos statuts. Désormais, quand un praticien est jugé gênant pour la stratégie interne de l’établissement, il est  placardisé, harcelé, ou muté  sur des activités autres que leur champ de compétence, ou mis à disposition d’autres établissements. Et force est de constater que l’administration régionale et nationale prend fait et cause pour les choix du Directeur, sans que jamais le collègue ne puisse se défendre. On entend désormais que seul le Directeur ayant pouvoir d’affectation, il peut décider de là où il fait travailler les médecins, sans aucun contre pouvoir  autre que syndical, et même en dehors de leur champ de compétence. La « nouvelle gouvernance »  qui lie chefs de pôle (nommés par le Directeur et membres de droit des Commissions Médicales d’Etablissements), qui élisent un Président de CME de fait sans beaucoup d’autonomie puisqu’élu par des pairs nommés par ce même directeur ! C’est  une des conséquence de la Loi HPST, une nouvelle gouvernance entièrement aux ordres d’un Directeur évalué sur ses capacités à faire vivre le Plan de retour à l’Equilibre Financier. C’est la consécration de l’alliance médico-économique au sein de certains hôpitaux ayant perdu de vue le vrai sens de l’hôpital public, à savoir soigner. Ce sont désormais alliances et jeux de pouvoir, bien éloignés du Serment d’Hippocrate, l’objectif principal étant le retour à l’équilibre financier à n’importe quel prix.
 
Le métier de médecin DIM est un excellent reflet de ces contradictions : travaillant sous la responsabilité du directeur, il est obligé s’il ne veut pas se voir renvoyé dans un poste où il ne désire pas exercer, de se soumettre aux injonctions, même contraires à son éthique ou sa déontologie. Il est absolument nécessaire que ce métier devienne une vraie spécialité, avec ses valeurs propres, son référentiel de bonnes pratiques et de morale, avec les moyens locaux de travailler correctement, et une indépendance vis a vis de la direction. Et pour y parvenir, une formation diplômante.
 
L’absence de réflexion au sein des établissements de santé publics ou privés sur la garantie du secret médical. L’informatisation des dossiers médicaux à grande vitesse, souvent menée par des informaticiens plus au fait des logiciels informatiques que des enjeux de société est un vrai problème. L’édition des « journaux de connexion » dans certains hôpitaux est édifiante, quand on voit qui se connecte sur les dossiers des patients, sur quelle partie des dossiers, et quels patients intéressent les pirates voyeurs. Ou les réunions régionales inter-établissements de « benchmarking », où les dossiers présentés ne sont pas anonymisés. C’est un vrai problème, qui n’a pas été anticipé. Il a fallu qu’un médecin DIM de St Malo, véritable lanceur d’alerte, soit sanctionné sans jamais avoir pu s’expliquer, en dehors de l’écoute et de la défense de son syndicat, pour que le dossier s’envenime, que la CNIL réagisse enfin, que tous ces problèmes arrivent sur la place publique, pour que la gravité soit enfin perçue par les pouvoirs publics.  Laissons l’administration centrale faire respecter la Loi, c’est certes de façon tardive (nous alertons depuis juin 2011), mais faisons leur confiance. Par contre, notre collègue sanctionné doit pouvoir réintégrer son travail, et les autres ne subir aucune sanction pour avoir pris des positions courageuses et respectueuses de leur déontologie.
 
Fondamentalement, cette affaire reflète donc la contradiction que nous vivons au quotidien entre nos missions de médecin, et les conséquences des réformes de l’hôpital que celui-ci a  subies depuis plus de 10 ans. Ces réformes ont toutes ont eu pour objectif de mettre l’hôpital et la santé sur le domaine de la marchandisation, de la rentabilité et de la concurrence, via un management ciblé sur cet objectif. Ces contradictions que vivent en ce moment au premier chef les médecins DIM, ce sont celles que tous les soignants ressentent. Au delà de la protection des lanceurs d’alerte, c’est l’ensemble des conséquences des réformes de la santé de ces 10 dernières années qui doivent être revues. Le Pacte de Confiance qu’a lancé la Ministre est une belle idée, mais elle doit se concrétiser rapidement. Sans quoi de nouveaux feux semblables à celui-ci seront ouverts.